04 mai 2007

APPEL D'AIR, suite...



Je vous engage à lire le très beau texte d'Hugo Bellagamba. Il conclut très bien les cauchemars et inquiétudes que nous avons exprimées dans les textes qui le précèdent... et à 2 jours du scrutin, avec l'ultime offensive des sondages dont on sait qu'ils sont en train de donner des consignes de vote aux indécis, ce texte est carrément visionnaire.

Claire, très mal à l'aise.

PS : la liste des auteurs qui ont signé l'appel est en train de se rallonger, car quelques uns se sont ralliés à nous depuis le début de la semaine. Voici la liste à jour aux dernières nouvelles

Appel signé par Joseph Altairac, Ayerdhal, Stéphane Beauverger, Ugo Bellagamba, Francis Berthelot, Georges Bornand, Jean-Daniel Brèque, Lucie Chenu, Fabrice Colin, Sylvie Denis, Alain Damasio, Catherine Dufour, Gilles Dumay, Jean-Claude Dunyach, Claude Ecken, Mélanie Fazi, Jean-Pierre Fontana, Denis Guiot, Thomas Hervet, Nathalie Labrousse-Marchau, Sylvie Lainé, Claude Leroux, Licorne, Lise N., Jean-Marc Ligny, Claude Marnier, Michel Pagel, Claire Panier-Alix, Olivier Paquet, Laurent Queyssi, André-François Ruaud, Simon Sanahujas, Roland C. Wagner, Vincent Wahl, Joëlle Wintrebert… et raturé par nos dissidents Serge Lehman et Patrick Eris

18- LE SUICIDE DE LA DEMOCRATIE
Ugo Bellagamba


Quand je suis entrée dans la pièce, tous les régimes étaient déjà là. Les
prières le disputaient aux sanglots ; les unes étaient-elles plus sincères que
les autres, il était trop tôt pour en juger. Toujours est-il que la plupart des
régimes m’ignorèrent comme ils l’avaient toujours fait. Leur mépris ne me
touchait plus depuis longtemps. Même le sourire narquois de cette salope
de ploutocratie me laissa de marbre. Ma tristesse que je n’avais l’intention
de prouver à quiconque, occultait tout.
C’est la monarchie qui vint à moi. Sa souffrance ne semblait pas feinte. Elle
me prit dans ses bras, je la laissai faire. Elle avait toujours été un peu
absolue dans ses émois. Je l’aimais bien pour cela.
« Il ne manquait que toi. Viens. »
M’ouvrant la voie entre la tyrannie et l’aristocratie qui, une fois encore, se
disputaient en toute indécence, elle m’amena jusqu’à la gisante, que l’on
avait drapée dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.
Ainsi, figée dans ses valeurs tutélaires, elle semblait presque… parfaite.
« Qui aurait pu croire qu’elle en arriverait là ? » me dit, à voix basse, la
monarchie.
Moi.
J’ai toujours su que la démocratie finirait ainsi. Qu’elle se donnerait la mort.
Tous les autres régimes, eux, vivent et meurent, emportés les uns sur les
autres dans le grand cycle de la dégénérescence. Elle haïssait
l’Anacyclosis. Jamais elle n’aurait supporté cette fin lente, sans grâce. Nous
en avions parlé maintes fois.
« Comment s’est-elle… », demandai-je, sans pouvoir finir ma phrase.
La monarchie eut un frisson.
« Elle s’est servie de l’arme la plus puissante dont elle disposait. »
Je levai le regard au-dessus de la gisante : l’arme était là, encore
dégoûtante du sang qu’elle avait versé.
« Le suffrage universel… », murmurai-je.
- Direct, précisa la monarchie.
- En plein cœur ?
- Oui. Jusqu’à la garde.
- En seul tour de scrutin. ». Ma voix mourut.
Les monarchies censitaires et parlementaires qui s’étaient approchées pour
épier notre conversation, s’étreignirent avec force : « quelle histoire, quelle
folie ». D’un regard dur, la monarchie absolue les balaya plus loin.
« Qui prononcera l’hommage ? »
La monarchie ne me répondit pas, elle se contenta de pointer l’Autel du
doigt : avec force gestuelle affectée, le Principat rassemblait ses papiers,
préparait sa voix.
C’était plus que je ne pouvais en supporter. Je tournai le dos à la gisante
et, sous le poids des régimes interloqués, me dirigeai vers la porte. La
monarchie absolue ne tenta pas de me retenir. Elle avait compris, je
pense.
J’ai fui le cadavre de la Démocratie, dont je me sentais pourtant si proche.
Après tout, un régime si parfait qu’il ne convenait presque pas à des
hommes, un régime si empreint d’idéal, était-il si différent de moi ?
Une fois encore, j’étais seule, Utopie noyée d’ombres.

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