18 avril 2007

Réflexions désabusées d'un auteur, à méditer...

Je viens de lire ces quelques lignes signées Christian Grenier, et comme je les partage pour l'essentiel, je relaye...


Noosfère, 18 avril 2007, Christian Grenier :

Censure... suite !

Aujourd’hui, on l’aura compris ( lire la niouzeletter de mars 2007 ), la censure la plus insidieuse semble être celle que s’imposent les auteurs ! S’ils veulent être publiés, ils évitent les sujets qui dérangent ; malgré leurs qualités, certains récits sont rejetés par les éditeurs parce qu’ils ont peu de chances d’être vendus !
Ainsi, mon roman Ecoland, dans une version longue destinée à l’origine à un lectorat adulte, a fait l’objet, il y a vingt ans d’un rapport de lecture ( de la part d’un éditeur trop connu pour que je le mentionne ici ! ) qui s’achevait par la phrase : « votre roman est fort et très original ; ce sont ces deux raisons qui nous empêchent actuellement de le publier. »
Etonnant, non ?

Que veulent publier les éditeurs ?

C’est hélas la question que se posent des auteurs avant d’entreprendre la moindre écriture. Ainsi, mon camarade Eric Sanvoisin, qui aime le fantastique et la SF, me confiait, très dépité, pendant le récent Salon de Lamballe :
— Désormais, face à plusieurs refus successifs, je n’envoie plus de manuscrits spontanés. Avant de rédiger quoi que ce soit, je téléphone à l’éditeur pour savoir si le sujet de mon futur ouvrage lui convient !
Autrefois, les éditeurs prenaient des risques. Ils publiaient parfois des textes en confiant à l’auteur :
— Votre roman a peu de chances de se vendre ( ou encore : « les commerciaux n’y croient pas »... ou encore : « les représentants ne feront pas la promotion d’un tel ouvrage » ). Mais tant pis ! Nous aimons beaucoup ce récit et nous le publions... on verra bien !
De façon inattendue, le succès était au rendez-vous, preuve que le goût des lecteurs est heureusement imprévisible.
Qui aurait cru, il y a trente ans, dans l’avenir de romans comme La guerre des poireaux ? Ou, il y a quinze ans, dans celui de Coups de théâtre ou du Pianiste sans visage ( la musique classique ! Pour des jeunes ! ) ?


Aujourd’hui, peu d’éditeurs se lancent dans l’inconnu. Il y a quelque temps, face à la vente décevante de certains de mes romans de SF, une jeune directrice littéraire m’a déclaré :
— Pourquoi n’écrivez-vous pas des histoires de sorcières ? De monstres ou de dragons ? Il suffit que l’un de ces mots figure sur le titre de l’ouvrage pour que les ventes décollent !

Que veulent lire les lecteurs ?

Cette question, ce sont surtout... les éditeurs qui se la posent ! Le plus terrifiant, c’est que la plupart ont une idée précise de ce que les lecteurs attendent ; ils ont donc, face à des manuscrits, une lecture spontanément orientée vers ce qu’ils croient que les lecteurs aimeront.
C’est évidemment – à mes yeux – terrifiant !
Il est vrai que les lecteurs me font parfois des reproches : ils attendaient une autre conclusion, ils jugent le roman inachevé, ils sont déçus par tel ou tel aspect du livre, ils auraient aimé...
Je leur déclare alors de façon très provocatrice :
— Stop ! Je n’écris pas pour vous faire plaisir. Je ne cherche pas à raconter des histoires susceptibles de vous séduire. J’écris pour proposer des univers, des réflexions. J’écris pour partager mes angoisses, mes espoirs, mes convictions. J’écris pour soumettre des questions qui m’obsèdent. Le plus souvent sans livrer de réponse. Mon espoir est que les lecteurs y trouvent un écho, quitte à ce qu’ils soient surpris, déçus, décontenancés. Je n’écris pas pour plaire mais plutôt pour déranger...

Des propositions de corrections et/ou... d’amélioration !

Il y a trente-cinq ans, la plupart de mes manuscrits étaient publiés sans qu’on y change une virgule ! Aucun de mes ouvrages destinés aux adultes n’a fait l’objet de la moindre modification de la part d’un directeur littéraire, ni mes essais Jeunesse et science-fiction ( 1972 ), La SF ? J’aime ! ( 1981 ), La science-fiction, lectures d’avenir ? ( 1993 ) ou le récent La SF à l’usage de ceux qui ne l’aiment pas. Mes ouvrages de fiction Auteur auteur imposteur ( Denoël, 1990 ) ou Partir pour Edena ( L’Atalante, 2000 ) sont sortis sans aucune retouche !
La Machination, en 1972, a été, sur la suggestion de la directrice littéraire Marie-Hélène About, amputée d’une seule phrase : une comparaison entre mon héros Lionel Kancel et le fameux « Hollandais Volant » de Richard Wagner, condamné à errer éternellement sur l’océan, une référence littéraire et musicale qui aurait passé au-dessus de la tête des lecteurs de douze ans.
Trois ans plus tard, toujours aux Presses de la Cité, face à mon manuscrit Le Satellite venu d’ailleurs, la même éditrice m’a confié :
— Le comité de lecture juge que le journal intime du vieil astronome est un peu long. Pourriez-vous lui consacrer moins de place ?
J’ai révisé ma copie. Deux mois plus tard, très naïvement, Marie-Hlène About m’apprenait :
— Les rapports de lecture sont excellents ! Mais la majorité déplore que le journal intime du vieil astronome soit trop court. Pourriez-vous le développer un peu ?


J’ai redonné ma première version... et c’est encore celle-ci qui est republiée ( chez Milan-Poche )... après des ventes régulières, soit 32 ans de rééditions !
Mais voilà... depuis quelques années, tout particulièrement dans le domaine jeunesse, les demandes de modifications semblent de plus en plus importantes, comme s’il s’agissait de proposer un récit « sur mesure ».
Un temps, je me suis remis en cause : après tout, me disais-je, c’est probablement ta qualité littéraire qui baisse ! Sans doute écrivais-tu mieux autrefois !
Et puis ( faut-il s’en rassurer ? ), je me suis aperçu que la pratique devenait plus que courante : elle se généralisait ! Pour des raisons qui semblent parfois très étranges à l’auteur.

Obéir à l’éditeur, refuser... ou tricher ?

Pour ma part, je suis toujours attentif aux remarques et aux suggestions des éditeurs ou/et de leurs lecteurs. Il arrive qu’elles soient pertinentes : tel passage est long, ou trop complexe : j’ai ainsi définitivement amputé trois pages d’analyse psychologique dans Le cœur en abîme. D’autres fois, je frise le clash : le directeur littéraire d’Hachette Jeunesse voulait obstinément que je retire le dernier paragraphe de Virus LIV 3 ou La mort des livres. J’ai refusé, au risque de ne jamais voir l’ouvrage sortir. De la même façon, un peu plus tard, j’ai refusé de sauver la vie d’un de mes personnages de Un amour d’éternité, la directrice littéraire souhaitait que je modifie complètement la fin de mon ouvrage... ce qui lui retirait tout son sens !
D’autres fois, je contourne la difficulté, avec l’impression que devaient avoir les auteurs des « pays totalitaires » contraints d’avancer masqués ! Etrange, dans un pays où la liberté d’expression semble régner...

Une réécriture parfois longue.

Un auteur sort rarement indemne d’une réécriture forcée, surtout quand il a l’impression qu’elle n’a pour objectif que servir « le cœur de cible ».
De plus en plus, je consacre davantage de temps à la réécriture qu’à la rédaction d’origine.
Les lecteurs me demandent souvent :
— Comment faites-vous pour trouver des idées ?
Ou :
— Combien de temps mettez-vous pour écrire un livre ?
La vérité est hélas ailleurs : les idées ( du moins en ce qui me concerne ) ne sont jamais un problème. Le problème, c’est de disposer de temps, de liberté pour écrire. D’être dans un état d’esprit serein, de se sentir suffisamment dynamique et motivé pour le faire...
L’écriture est le plus souvent un plaisir. Revoir soi-même sa copie est à la fois indispensable et difficile. Mais quand il s’agit d’obéir à des injonctions ou à des conseils qui semblent mal justifiés ou peu convaincants, c’est terrible ! Car on y consacre alors énormément de temps... et l’on n’est pas toujours content du résultat !
Au fait, je me demande si je suis pas en train de livrer aux lecteurs des secrets qu’ils devraient ignorer. Ces révélations et réflexions ne seraient-elles pas dangereuses à dévoiler ?


le site de Christian Grenier : http://www.noosfere.com/grenier/

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