27 novembre 2006

PARUTION : LES TERRES CREUSES


Voilà un mastodonte que j'attendais depuis belle lurette. Je l'ai entre les mains, je suis ravie, voilà de la recenscion, de la doc, du bon, de l'incontournable !
et comme j'ai l'honneur de figurer dans les remerciements, je ne peux que vous encourager à vous procurer cet ouvrage de référence :

Les plus grands savants dont Descartes ont avancé l’idée que le globe terrestre pouvait être doté de gigantesques cavités souterraines. L’illustre astronome Halley ira même jusqu’à supposer l’intérieur de la terre formé de sphères creuses emboîtées et habitées.
Les auteurs d’utopies, de voyages extraordinaires et de science-fiction ne tardèrent pas à les accompagner dans ces profondeurs inconnues.
Nombre d’illuminés se lancèrent également dans la quête d’une prétendue terre creuse, voire d’une terre « concave » plus ahurissante encore.
C’est à cette aventureuse - et souvent délirante - exploration spéléologique conjecturale, rassemblant plus de 2200 notices bibliographiques commentées et illustrées, précédées d’une étude exhaustive, que vous convient Costes et Altairac, dans la grande tradition de Messac, Blavier, Bleiler, ou Versins.

Réf. 2006/11 ENCRAGE, Coll. Interface n° 4; Isbn : 2-251-74123-2 [Préface]CLARKE I. F. [Postface]LEHMAN Serge

23 novembre 2006

EDITION : NOUVEAU ROMAN


Je suis fière d'annoncer officiellement que je viens de signer un contrat avec les éditions MANGO pour un roman jeunesse qui paraîtra courant 2008 (remise du texte en juin 2007), dans le cadre de leur nouvelle collection : "ROYAUMES PERDUS" dirigée par Xavier Mauméjean.



Vous voulez en savoir plus sur cette nouvelle collection ? tout est dans le titre !

Pour ma part, je travaille sur un roman de fantasy d'inspiration maya-toltèque dont le coeur sera le combat qui opposa Gucumatz/Quetzalcoatl et Tezcatlipoca 'Miroir Fumant'.

MES PROCHAINES DEDICACES : FESTIVAL DE SEVRES

(Au SEL 47 Grande rue)
3èmes Rencontres de l'imaginaire
Samedi 9 décembre 2006

Invité d'honneur Henry Vernes
Conférences-débats à l'Escale 51 Grande rue
Les quarante ans de Perry Rhodan en France, Jean-Michel Archimbaud
Questions à Henry Vernes
Les techniques d'écriture en S-F, Pierre Bordage & Serge Lehman
Exposition à la Bibiothèque Médiathèque Square de la forge
Le monde fabuleux des dragons

Images de S-F & Fantasy Philippe Caza,
Philippe Druillet, Philippe Curval,
Philippe Yann Minh, et Philippe Jeam Tag.
Nombreux stands neuf et occasion, dédicaces etc...
Participants : Joseph Altairac et Guy Costes
dédicaceront leur Bible sur "Les Terres Creuses"!.
Sinon, outre les auteurs déjà cités, Thomas Bauduret,
Francis Berthelot, Eric Boisseau,
Fabien Clavel, François Darnaudet, Sylvie Denis,
Gérard Dôle, Catherine Dufour,

Mélanie Fazi, Laurent Généfort, Johan Héliot,
P.J. Herault, Laurent Whale
Philippe Heurtel, Philippe Laguerre-Ward,
Serge Lehman, Colin Marchinka, Xavier Mauméjean,
Sylvie Miller, Michel Pagel, Claire Panier-Alix, André-François Ruaud,
Roland C. Wagner,

et du côté des images
ajouter à Michel Borderie, auteur de l'affiche, Krystal Camprubi, Johnny Lang
(qui signera aussi son roman)
et Jean-Michel Nicollet.
Entrée libre, venez nombreux.

18 novembre 2006

La Condition littéraire : la double vie des écrivains


l'association ADA qui regroupe les auteurs écrivains et traducteurs du languedoc roussillon a organisé un débat sur la condition des écrivains, je vous passe le compte rendu. On essaie d'avancer pour améliorer le statut des auteurs. (Viviane Etrivert Gauthier, vice présidente d'ADA)


La Condition littéraire : la double vie des écrivains, conférence et débat sur le livre de Bernard Lahire, organisés par la librairie Sauramps et l'association Autour des auteurs

Montpellier le 9 novembre 2006˜™

En l'absence de Bernard Lahire, empêché par la grève SNCF, ce sont des membres de l'association ADA (écrivains et traducteurs du Languedoc Roussillon) qui ont présenté au public présent une synthèse du livre, et qui l'ont commenté.

La librairie Sauramps, était représentée par Dominique Perrin, ADA par les écrivains Joëlle Wintrebert, présidente de l'association, Michel Crespy, maître de conférences de sociologie à l'Université Montpellier III, Francis Zamponi, journaliste et formateur au CFPJ (Centre de perfectionnement des journalistes), Antoine Blanchemain, agronome retraité, ainsi que par Edith Noublanche et par Florence Ludi (chargées de mission ADA).

I. Présentation du livre par Edith Noublanche

Bernard Lahire est un sociologue spécialisé dans le domaine de la culture. Son étude a été financée par le Conseil Régional Rhône-Alpes et par la DRAC Rhône-Alpes. L'ARALD (Agence Rhône-Alpes pour le livre et la documentation) a soutenu la recherche et apporté une aide indispensable. L'enquête est justifiée par le constat suivant lequel les auteurs ne peuvent pas vivre du produit de leurs écrits et doivent recourir à des activités complémentaires pour avoir des revenus suffisants. Cette situation les expose à la précarité matérielle. L'étude comprend une analyse et des portraits.

Le questionnaire a été envoyé à plus de 800 auteurs de la Région Rhône Alpes ayant publié au moins un ouvrage. 503 questionnaires ont été exploités. 40 auteurs ont été longuement interviewés, les demandes de bourses de création, régionales et nationales, ainsi que d'aides financières à la Société des Gens de Lettres ont également été examinées.

Bernard Lahire trace un portrait des écrivains :

Socialement, ce sont très majoritairement des hommes (68%), et la part des femmes s'amenuise encore en ce qui concerne la reconnaissance sociale (10% des grands prix littéraires, 35% seulement du prix Fémina) et l'inscription professionnelle (AGESSA).

Les écrivains sont avant tout issus des classes supérieures et moyennes, à fort capital culturel, l'origine sociale est primordiale malgré les effets correcteurs de l'école. C'est une population relativement âgée, très fortement diplômée.

Ils ont très majoritairement un second métier pour assurer leur existence matérielle. Ils sont par ordre de fréquence enseignants puis journalistes, cadres supérieurs, professions libérales supérieures. La part des revenus de l'écriture est faible. 45% des auteurs interrogés n'avaient touché aucun droit d'auteur l'année précédente, 9% seulement en avaient tiré un revenu supérieur à 10 000 euros.

Ils éprouvent à cet égard des sentiments ambivalents.

Ce second métier assoit leur liberté, leur équilibre social et psychologique, mais en contrepartie, il peut conduire à une moindre qualité du travail de création, soit en raison du temps qui est retiré à celui-ci, soit en raison d'une pression extérieure qui oblige parfois à travailler plus vite (cas des auteurs qui sont poussés par l'éditeur à publier au moins une fois par an). Il peut être source d'inspiration, mais il n'est pas forcément considéré comme une source de bien-être.

Bernard Lahire présente l'écriture comme une profession spécifique, elle ne demande ni formation, ni diplôme, il n'y a pas de carrière au sens propre, car chaque nouveau livre remet en cause le trajet littéraire, et les changements d'éditeurs sont fréquents. C'est un plaisir solitaire et passionnel. Il ne correspond pas vraiment à la notion de profession.

Comme source de revenus s'ajoutant au second métier, l'exercice de l'écriture dépend du marché et du soutien de la puissance publique. Dans la chaîne du livre, l'auteur est le maillon faible et vit un paradoxe : plus il est « professionnel », c'est-à-dire rigoureux dans sa poursuite d'une qualité littéraire, moins il est « professionnel », c'est-à-dire rentable. La production à marche forcée de livres grand public est difficilement compatible avec la démarche créative solitaire.

Les auteurs qui sont « professionnels » au sens économique du terme exercent souvent pour assurer leur subsistance des activités paralittéraires, notamment dans des salons du livre ou des écoles. Ils ont alors le sentiment de devenir pédagogues, thérapeutes, animateurs, commerciaux de leur éditeur, et ce rôle qu'ils doivent jouer, quelquefois bien éloigné de leur travail d'écrivain, est souvent mal vécu.

Les écrivains sans second métier sont l'exception : ils sont retraités, chômeurs, RMIstes, ou s'appuient sur les revenus d'un conjoint. Seuls 300 écrivains vivraient de leur plume en France, à en juger par les chiffres de l'AGESSA, sécurité sociale des artistes-auteurs.[1] On parle de la précarité des gens du spectacle mais leur statut matériel est beaucoup plus favorable que celui des écrivains. La retraite, des problèmes de santé ou familiaux, et les auteurs basculent dans les difficultés et dépendent de l'aide publique.

L'écrivain est attaché à son indépendance, il use d'une sémantique religieuse pour décrire son activité, il crée des mondes, c'est un démiurge, mais il doit se battre pour réserver le temps nécessaire à un écrit (et à un écrit de qualité), ce problème se posant avec encore plus d'acuité pour les femmes. L'écriture en cours est la préoccupation permanente de l'écrivain. La précarité matérielle, le temps qu'il est possible de réserver à l'écrit influent sur la forme et le contenu de l'écrit.

En conclusion, Lahire affirme qu'il est essentiel que l'Etat soutienne les écrivains, ces « témoins de leur temps », car la diversité des idées et de leur expression est « un moyen, parmi d'autres, de former les citoyens. »

Michel Crespy : Commentaires sur l'étude

1. B. Lahire a choisi de ne pas distinguer auteurs autoédités et auteurs édités à compte d'éditeur. Or, ce sont des catégories très différentes. Toutefois son analyse correspond très largement au vécu des écrivains. Il y aurait probablement eu des résultats différents si l'enquête avait porté sur la région parisienne qui concentre les grands éditeurs, les grands médias, les prix littéraires. Les écrivains qui ont un second métier dans le milieu de l'édition y sont bien plus nombreux (lecteurs de manuscrits, par exemple).

2. B. Lahire a choisi de ne pas montrer l'influence sur le contenu de l'écriture des conditions de vie de l'écrivain, de la précarité.

3. L'écrivain est réputé pour son individualisme : il est en perpétuelle concurrence avec les autres écrivains, ce manque de solidarité est un frein à l'établissement d'un statut collectif plus avantageux.

4. Le statut de l'écrivain est en passe d'être profondément modifié, sous l'influence en particulier de l'évolution technologique. Le livre numérique se développe même si, quand le titre est un succès, il finit toujours par être imprimé.

5. Les pratiques changent : un éditeur peut avant d'avoir fait paraître le livre en français avoir vendu les droits d'adaptation cinématographique, avoir fait traduire le livre en anglais, il y a là aussi mondialisation. La poésie est à l'extrême opposé de cette politique de rentabilité. Le marché est minimal et le rendement financier inexistant.

II. Echanges avec le public

Joëlle Wintrebert relève que l'association ADA est justement une manifestation de cette solidarité entre auteurs, avec une volonté des écrivains de se regrouper pour défendre leur statut, un site Web qui permet leur visibilité sur Internet et qui fonctionne pour les divers acteurs culturels de la région et d'ailleurs comme un centre de ressources. Autre manifestation de solidarité, La Charte des auteurs pour la jeunesse, créée comme ADA (mais il y a 20 ans !) avec une poignée d'écrivains, riche aujourd'hui de 800 adhérents, et qui a permis, depuis sa création, des avancées importantes pour les auteurs.

Francis Zamponi revient sur l'idée de la professionnalisation des écrivains. En tant que journaliste et écrivain, aucun de ces deux métiers ne requérant véritablement de diplôme ni de formation, il lui paraît difficile de dire si ces occupations sont des « professions » et laquelle l'emporte. La précarité des écrivains est ancienne, déjà évoquée par Jules Renard, qui vivait de l'adaptation au théâtre de ses ouvres. Et c'est parce qu'ils étaient rentiers que les frères Goncourt jouissaient d'une parfaite liberté.

Joëlle Wintrebert a été journaliste, directrice littéraire, rédactrice en chef. et s'est arrêtée pour trouver le temps d'écrire. Elle ne trouve pas si évidente la distinction que fait B. Lahire entre « écrivains de genre » qui seraient censés se plier aux lois du marché et gagneraient correctement leur vie, et « écrivains littéraires ». Certains des premiers sont en quête de nouvelles formes, et très attachés à la valeur littéraire de leurs écrits. Et ils ont eux aussi de grandes difficultés à vivre de leur plume. Francis Zamponi confirme la précarité dans laquelle se trouvent les auteurs de noir. Joëlle fait remarquer que le roman de Francis, Mon Colonel, sera peut-être bientôt un best-seller puisque son adaptation cinématographique par Costa Gavras sort sur nos écrans !

Question formation, le talent ne s'apprend pas, il est individuel. La grande masse de la littérature reste confidentielle et ne représente pas un marché important, malgré 56.000 livres par an qui paraissent. Une vente de 1.500 exemplaires représente déjà un score honorable.

La définition même de la littérature est brouillée par la distribution en grande surface qui en fait un objet banal. Antoine Blanchemain cite Michel Del Castillo qui affirme que le livre est une marchandise comme le papier hygiénique, il y a désacralisation. Jean-Claude Dana cite un bon mot de Sacha Guitry à un écrivain qui lui avait envoyé un manuscrit : « Comment l'avez vous trouvé ? Je l'ai parcouru d'un derrière distrait. »

Les grands prix littéraires sont des machines à « faire des coups » pour vendre, le jeu est biaisé, si l'ouvre est mal écrite, elle est retravaillée par des nègres. Remarque du public : ce n'est plus un travail en solitaire.

Antoine Blanchemain appelle l'attention sur la nécessité d'améliorer le statut des écrivains qui interviennent dans les domaines paralittéraires pour les sortir de la précarité : les bourses de création ou de résidence sont à privilégier, les interventions scolaires ou en bibliothèques peuvent venir en appoint. Á ce propos, le rôle des bibliothécaires, des organisateurs de salon, des documentalistes est primordial. Ces différents acteurs culturels devraient être mieux sensibilisés aux problèmes des écrivains.

Sur le paradoxe de l'auteur exigeant professionnellement parlant et mal adapté au marché, Joëlle Wintrebert signale qu'il est réducteur d'opposer succès commercial et auteur maudit. Certains auteurs comme Christine Angot ou Michel Houellebecq revendiquent une vraie démarche littéraire, et garder une écriture personnelle ne les a pas empêchés d'avoir beaucoup de lecteurs.

Les éditeurs peuvent publier des écrivains difficiles ou sans renommée grâce à des auteurs à succès comme Hervé Villard, qui se sont fait un nom par ailleurs.

Dans la salle, notre adhérente Marie Rivet demande s'il ne serait pas possible de favoriser la création locale en consacrant par exemple une salle de médiathèque aux écrivains locaux ?

Gilles Gudin de Vallerin, directeur de la Médiathèque centrale d'agglomération Emile Zola, explique qu'il n'est pas favorable à l'inscription des auteurs dans un régionalisme, forcément réducteur.

Joëlle Wintrebert relève que donner une tribune aux auteurs est l'un des chevaux de bataille de l'association ADA, et que le site Internet a cette vocation-là.

Antoine Blanchemain et Joëlle Wintrebert disent qu'il est nécessaire que les auteurs soient mieux traités par les organisateurs d'animations autour du Livre. Il est encore trop souvent estimé que le travail de représentation d'un écrivain sur un salon, dans une école ou une bibliothèque devrait être gratuit.

Il n'est pas jusqu'au fameux droit de prêt en lecture publique (1% du prix du livre en librairie) qui n'ait fait l'objet d'une levée de bouclier (parfois des auteurs eux-mêmes, sans doute mal informés) alors qu'il était nécessaire et pratiqué dans les pays scandinaves depuis la fin des années 40, partout ailleurs dans le monde anglo-saxon depuis les années 70 et 80.[2]

Les institutions publiques agissent autant qu'elles peuvent, mais l'argent disponible est limité. Les bibliothèques sont des sanctuaires pour la diversité du livre, rappelle à juste titre Gilles Gudin de Vallerin. Il faut doser entre les ouvrages médiatisés et les autres, mais on y trouve les ouvres exigeantes ou difficiles qui disparaissent des librairies sitôt sorties, faute de médiatisation suffisante.

En conclusion, Joëlle Wintrebert appelle les auteurs édités à compte d'éditeur à rejoindre l 'association pour travailler à l'amélioration du statut des auteurs.

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[1] (En fait, les chiffres montrent que 1770 écrivains sont affiliés, c'est-à-dire qu'ils dépendent de l'AGESSA pour leur sécurité sociale, et donc que leur source de revenus principale est issue de leurs droits d'auteur... Ont-ils de quoi « vivre » pour autant ? Note de ADA)

[2] La loi du 18 juin 2003 instituant le droit de prêt français, outre les sommes à répartir à parité entre les auteurs et leurs éditeurs, a donné naissance au premier régime de retraite des écrivains et des traducteurs, seule profession artistique qui n'en disposait pas jusque-là. Il devrait favoriser la création éditoriale et la diversité culturelle, comme il favorise les petites librairies jusque-là écartées des marchés publics.

ARTICLE : MEGALITHES & AXIS MUNDIS


Introduction: symbolisme et croyances
"De Stonehenge, en Angleterre, à Newgrande, en Irlande, jusqu'à Carnac, dans le Morbihan, une troupe de granit, dont chaque menhir serait un soldat, monte la garde."
L'espace
Du limité à l'illimité
La réprésentation
Un rôle social
Des portes
Là où la terre s'achève
Le destin des hommes
De l'anthopomorphisme à l'abstraction et au mythe
Axis Mundis, Ond : les vertus des pierres levées

· L'ESPACE
Il existe un processus de sacralisation de l'espace pendant la préhistoire qui se comprend par la délimitation de l'espace (une aire volontairement dégagée par l'homme, ce qui la rend autonome). Cette aire dégagée artificiellement et dans un but précis s'est rapidement vue spécialisée, attribuée à des fonctions collectives, instituée. L'espace ainsi accaparé et transformé devint donc l'un des ciments (sinon la matrice principale) de la vie en collectivité (communauté, par opposition à la simple notion de groupe.)

A partir de là, un besoin "architectural" s'est lié à un symbolisme naissant, obsédant, faisant penser à la naissance d'une religion telle que nous pouvons la concevoir: croyances, rites, cérémonies. Auparavant, l'espace sacré, que j'appellerai "sanctuaire", trouvait sa place dans un espace "préconstruit" par la Nature, comme une partie de la grotte (il ne faut pas négliger l'aspect passionnant de cette récupération hautement symbolique de l'espace souterrain, recouvert, enveloppant, sombre, riche en formes naturelles qui sont autant de composantes supplémentaires à la sacralisation. Mais dans le thème qui nous intéresse, l'espace externe s'ouvre à un symbolisme nouveau tout aussi fascinant, et je dirais, astral.)

· DU LIMITÉ À L'ILLIMITÉ
Les mouvements du soleil (et le ciel en général) s'inscrivent dans un universalisme fondateur. Ils délimitent les quatre directions essentielles: le sud (propice, devant soi), le nord (néfaste, derrière soi), l'axe "mouvement solaire" d' est en ouest. La disposition des constructions religieuses tels que temples, tombes et autres sites mégalithiques, et la signification symbolique des espaces utilisés ou parcourus, est la répercussion directe de ces pôles universels et solaires. Ces limites spatiales, dès lors qu'elles sont attachées aux mouvements du Soleil (et des astres en général) ont dû fonder l'opposition du bien et du mal, du limité et de l'illimité par le constat immédiat des côtés diurnes et nocturnes, l'opposition de l'est et de l'ouest. Cela a donné un sens au cosmos, à l'environnement divisé entre connu et inconnu.

· LA REPRÉSENTATION
Forme artificielle, sélectionnée dans la nature, reproduite et saisie, l'image (picturale, gravée ou sculptée etc..) devint ensuite une création en soi venant s'ajouter à l'espace. Plus que d'image, il faut parler de témoin matériel de l'expression religieuse, voire de vecteurs pour communiquer avec un autre monde (pour passer de l'autre côté, ou pour communiquer dans un sens ou dans l'autre: profiter des ondes venues de l'autre côté ou envoyer des messages), ces objets aujourd'hui muets que sont les mégalithes sont bien davantage que des vestiges architecturaux (religieux ou autres), ce sont des objets porteurs de forces spirituelles au même titre que les fétiches d'aujourd'hui. Plus que leur nature, leur situation ou leur disposition, ils avaient une fonction bien définie.

· UN RÔLE SOCIAL
Au cours du néolithique moyen occidental (4è millénaire), d'immenses enceintes et de nombreuses installations découvertes par les archéologues prouvent l'intensité démographique, mais aussi l'implantation locale des populations jusque là souvent migrantes.

Près des enceintes, on trouve une forte concentration de sépultures collectives et monumentales, d'abord de terre et de bois, puis sous des dolmens, vestiges des monuments qui formaient jadis des tertres. Expression de solidarité, cette forme de sépulture parvenue jusqu'à nous avec ses mystères et ses mythes montre aussi une organisation religieuse très forte, réellement structurée. En plus de ces sépultures monumentales, cette époque est aussi celle de vastes réseaux d'échanges, d'exploitation minière de grande ampleur, de systèmes économiques, techniques et sociaux importants bien que naissants. Cette cohérence et ce développement social vont de pair avec le système religieux . Peu de traces exploitables sont parvenues jusqu'à nous, et les archéologues doivent déduire les phénomènes de minuscules fragments, ou de pierres levées, dressées sur leur mystère. Les dolmens sont des sépultures, comme les orthostates (pierres verticales) ou les petits "autels" plats supportés par quatre pieds en sont d'autres, mais il reste tant d'autres formes mégalithiques qui continuent de se taire et de laisser les théories s'échafauder, et souvent, s'écrouler au fil des années...

Ces éléments de structure sociale montrent que peu de troubles venaient perturber cette période du néolithique, notamment en matière religieuse qui, par les traces qu'elle laisse, démontre une certain stabilité, et, peut-être, une immuabilité symbolisée par la permanence de la pierre mégalithique. Une sorte de puissance institutionnelle fortement installée dans les différentes sphères d'une société forte et stable qui a surmonté le choc de la période précédente: la confrontation des autochtones et des populations migrantes arrivées ici en masses déferlantes, et depuis assimilées. On peut imaginer que cela donnait des sociétés (peuples ?) fortifiées par un apaisement provisoire des angoisses collectives (avenir incertain, inconnu, guerres, bouleversements de toutes sortes), et galvanisées par l'omniprésence des mégalithes, de l'Au-Delà...

· DES PORTES
Je l'ai suggéré plus haut: la pierre, surtout si elle a des proportions imposantes, surhumaines, est immuable, inscrite dans le temps et dans l'espace (suivant des critères primordiaux). Le mégalithe est une porte, un seuil, un garant. C'est aussi l' élément symbolique essentiel d'une religion dont nous ignorons à peu près tout mais qui devait être tellement intégrée aux pratiques quotidiennes que son sens s'est en quelque sorte lissé dans les traces archéologiques laissées par ces populations du néolithiques moyen, ce qui laisse libre cours aux interprétations les plus fantaisistes.

· LÀ Où LA TERRE S'ACHÈVE
La période qui nous intéresse le plus est le néolithique récent. Elle est marquée par de grands bouleversements liés à la fin de l'expansion géographique. C'est la fin d'une ère, et les spécialistes de la période la décrivent en parlant de "phénomène de flottement, de troubles de mutations". On remarque effectivement que les traces archéologiques et mégalithiques se densifient tout le long de la façade atlantique de l'Europe.

C'est là que la terre s'achève, pour laisser les brumes et les furies de la mer prendre le relais. La démographie continue de croître, ce qui a justifié ce regain de migrations, mais cette fois, elle se concentre le long des côtes: on peut parler d'agglomérations, d'agglutinement au bord de ce qui est pour l'instant inaccessible et inconnu.

Ces civilisations de la façade Atlantique sont prospères, mais elles seront éphémères. Portugal, Bretagne, Angleterre et Irlande fourmillent de mégalithes dont le nombre sur un même site (et parfois les proportions) dépassent tout ce qui s'est fait jusqu'alors. Ces mégalithes semblent avoir atteint un sommet dans leur fonction (et conception) astronomique. Ils ne sont plus seulement des stèles funéraires ou des autels rituels. On a l'impression que ces prestigieux témoignages aux cieux d'un peuple en pleine expansion mais arrêté par l'espace, furent le seul recours qu'il ait eu pour affronter cet obstacle, cette apparente certitude de "fin".

· LE DESTIN DES HOMMES
On constate l'émergence de gigantesques constructions circulaires ou en alignement conformes aux points cruciaux et aux déplacements des astres, constitués de pierres dressées, la plupart du temps de très haute taille (menhirs). On pense que ces monuments mégalithiques devaient être utilisés pour le calcul de saisons sans doute pour déterminer les phases critiques de l'agriculture naissante et des cérémonies rituelles qui devaient l'accompagner. On parle aussi du renouveau des astres (symbole de l'abondance et de la fécondité, bref, de la Vie).

Les saisons, le ciel, les astres, la nuit et le jour renaissant: de tout cela dépend le destin des hommes, c'est donc vers eux que devaient se tourner les cultes, et bien vite, les motifs ornementaux et autre subtilités architecturales: cercles concentriques de Stonhenge aux orientations solaires et lunaires par exemple, ou encore les spirales et les rayons gravés sur la dalle de fermeture de l'immense tumulus de New Grange (Irlande) dont la lucarne qui surmonte l'entrée permet de façon incroyablement précise d'éclairer le fond du monument par les rayons du soleil aux changements de saison.

· DE L'ANTHROPOMORPHISME À L'ABSTRACTION ET AU MYTHE
Tout le long de la façade atlantique (du Portugal à l'Irlande) se retrouve cette obsession céleste par d'innombrables alignements de pierres dressées et méthodiquement assemblées. Levers, solstices, phases lunaires, calcul des saisons et réjouissances leur correspondant semblent autant d'éléments communs à des populations réparties sur toute l'Europe, principalement sur la frange occidentale. Dans les colossales sépultures du Portugal et du sud de l'Espagne on a retrouvé des statuettes plates en schiste, parfois cylindriques en calcaire ou en os, sur lesquelles se retrouvaient des motifs géométriques et de larges ocelles jumelées rappelant l'importance du regard déjà révélé par les gravures trouvées dans la période précédente sur les orthostates. Or, la vision nous ramène à l'importance de la compréhension dans la religion néolithique. Ces motifs géométriques se font de plus en plus nombreux au fur et à mesure qu'on avance dans la période: cercles, rais, croissants, puis anneaux s'accumulent, qui paraissent évoquer les astres mais aussi une approche différente de la religion: de l'anthropomorphisme à l'abstraction.

Ce qui rend la compréhension des traces laissées plus difficile à appréhender pour les chercheurs.

La fin du néolithique voit de nouvelles périodes de troubles, sans doute dues à la trop forte concentration démographique le long des côtes. On constate parallèlement (mais cela reste lié) l'émergence de sépultures plus vastes et "riches", de type "princières", qui suggère de plus fortes différences de statut social au sein de la collectivité, et ce par delà la mort. La maîtrise des premiers métaux précipite l'issue de ces bouleversements, constituant des armes, mais aussi des objets de grande valeur, signes de puissance et de richesse pour ceux qui les détiennent. Au bout du compte, les société mégalithiques s'en trouvent vraiment transformées, et leurs fondements religieux mis à mal: avec la constitution d'un nouveau type social émerge les premières mythologies protohistoriques où les dieux se mettent à assumer des fonctions "humaines" et où forgerons, souverains ou guerriers deviennent des membres déterminants à l'aube de la période suivante: l'Histoire. Les mégalithes, eux, subsistent, mais leur usage (leur sens), s'il se perpétue un temps, finit par être détourné, ou par se perdre.

Entre les deux périodes, on constate en effet de fortes analogies formelles. La "récupération" de faits historiques par des explications surnaturelles contribue à alimenter le nouveau fond religieux (mythologique). De même, les nouveaux dieux s'accaparent sites et sens anciens pour les assimiler à des conceptions nouvelles. Les images religieuses, les monuments dont la mémoire a perdu le sens, le rôle, l'origine, sont également absorbés ou condamnés à l'oubli, voire à la destruction s'ils ne se plient pas à une sorte "d'analogie contextuelle".



-I-
LES CHAMBRES DOLMENIQUES EN EUROPE DE L'OUEST
"On voit apparaître, il y a des dizaines de milliers d'années, ce culte aux ancêtres qui est probablement une des premières manifestations de la sacralité. On se dit: ces gens sont morts, mais ils sont quelque part. Il faut respecter leurs restes."

Hubert REEVES


L'époque du Peuple des Mégalithes remonte à 5000 avant JC. C'est le néolithique. 35 000 ans séparent ces gens de ceux qui vivaient dans les grottes (paléolithique supérieur) , et 7000 ans nous séparent d'eux et de leurs mystérieux alignements de pierres levées.

· variantes
· l'exemple du cairn de Gavrinis

· fonctions rituelles


les dolmens de la façade atlantique
"A la fin de l'âge du bronze, l'Europe occidentale et septentrionale, surtout sur la façade atlantique, voit surgir du sol une "végétation" minérale géante et multiple. Un peu partout, on dresse des pierres vers le ciel. Dans quel but ? le défier ? à quoi cela sert-il s'il est vide ? l'appeler à l'aide , lui rendre hommage ? intercéder pour obtenir protection ? pour l'adorer ?"

Marcel JULLIAN

Il y a autant de variantes que de lieux, en matière de dolmens. Elles tiennent autant de l'évolution dans le temps des conceptions, que des coutumes locales et des matériaux mis à la disposition des bâtisseurs par la région concernée. La nature du sol elle-même entre en considération. Le dolmen de Villeneuve-Minervois, dans l'Aude (France) a été érigé sur une colline abrupte au milieu des rocailles de la garrigue, alors qu'on trouve certains dolmens à demi enterrés (la table étant à peu près au même niveau que le terrain environnant) comme celui de Runesto (Carnac, Morbihan) ou Buzeins (Aveyron), comme si ses constructeurs avaient dû faire un compromis entre l'hypogée et l'hypergée.

La forme du cairn en lui-même varie, ronde ou longue. Parfois, elle n'est plus discernable, à cause de arasements et des destructions successives. De fait, si culturellement nous avons pris l'habitude de parler distinctement de dolmen et de cairn, comme s'il s'agissait de deux monuments différents, il faut garder en mémoire ou se contraindre à l'admettre, que le dolmen était toujours enterré, faisant partie intégrante du cairn. Le temps et l'histoire ont fait disparaître certaines parties des cairns, laissant le dolmen à l'air libre, nu, mais ce n'était pas sa forme originelle.

Les variantes sont aussi visibles dans la conception architecturale de fond du cairn. Il y en a avec ou sans allée couverte, sans couloir, ou avec dolmen à double muraille qui ont en général une chambre principale ou une galerie munie d'un petit portique à l'ouest, et une autre chambre, plus petite, fermée à l'est. Ce type de cairn est plus large et plus haut du côté ouest, avec des murs de soutènements doublés, comme l'un des cairns de l'ensemble mégalithique de Chanac, en Lozère (sud de la France). On en trouve beaucoup en Irlande, comme celui d'Islande (comté de Cork). Dans tous les cas, ce type de cairn avait une table dolmènique colossale, ce qui justifie peut-être le double soutènement. De toute façon, on ne peut sérieusement établir une interprétation en ne gardant que les arguments physiques évidents et en mettant de côté des éléments symboliques qui nous échappent.

Ainsi, on a constaté que certains dolmens voyaient leur entrée fermée par une dalle perforée artificiellement. Il y a des dalles perforées de ce type en Palestine et en Crimée, ainsi que sur les côtes ouest de l'Inde où près de 1000 dolmens ont été découverts, et possèdent cette particularité de la porte trouée.

L'exemple du dolmen à couloir de Larmor-Baden dans le Morbihan, ou "Cairn de Gavrinis", montre l'une des plus belles constructions dolmèniques d'Europe, voire du monde.

Il se trouve sur une petite île, en face de laquelle se trouve l'îlot Er Lannic où deux cromlechs subsistent encore, bien que l'un d'eux soit submergé. Gavrinis semble être le tertre le plus élevé d'un ensemble plus vaste, dominant la Petite Mer (Morbihan) de la Grande Mer (Mor Braz), et devant se voir de loin à l'époque où les lieux n'étaient qu'un marécage parsemé d'îles. Par ailleurs, il se situe au centre d'un immense réseau mégalithique couvrant la région de Carnac, Locmariaquer et Arzon ce qui fait de lui l'un des sites religieux importants du néolithique.

Le Cairn de Gavrinis mesure 100 mètres de circonférence, et 8 mètres de haut. Son couloir court sur 14 mètres, s'ouvrant au sud-est et débouchant dans une chambre carrée de 2 mères 50 de côté. Pour pénétrer dans cette chambre sépulcrale qui est à peine plus large que le couloir d'accès, il faut passer une sorte de seuil symbolisé par une dalle. Il n'y a aucune voûte en encorbellement, et chaque dalle est soigneusement juxtaposée. La chambre comporte 9 blocs énormes servant de support à la dalle dolmènique qui ne fait rien de moins que 4 mètres sur 3.

Des cavités ont été creusées dans la paroi de l'un des supports du dolmen, antérieures à l'érection du mégalithe, et une légende rapporte que des prisonniers y étaient attachés.

La chambre dolmènique est décorée de façon saisissante et assez exceptionnelle. Les parois sont profondément gravées, et cette richesse d'ornementation symbolique se prolonge jusque dans le couloir. J. Markale émet l'hypothèse que cette chambre ait pu servir à autre chose qu'à un rite funéraire, et que des cérémonies initiatiques sont liées à ces gravures pariétales: "Il est difficile d'admettre que cette ornementation n'était que funéraire, ou alors il faut songer que toute initiation passe par une mort rituelle et symbolique avant de déboucher sur une renaissance tout aussi symbolique et intérieure; le passage sous le bandeau et "dans la tombe" des rituels maçonniques sont significatifs de ce genre de choses, et il est impossible de ne pas imaginer que dans cette chambre de Gavrinis ont eu lieu, à des époques différentes, des cérémonies d'initiation à quelque sagesse inconnue. Le lieu semble s'y prêter, et les gravures paraissent le confirmer. (...) Il y a ainsi , à l'intérieur du cairn, à peu près 60 m2 d'un décor absolument unique en son genre."

Ces ornementations diffèrent sensiblement de celles que l'on peut trouver en Irlande: à Gavrinis, il n'y a ni triskell, ni spirale. Elles semblent typiquement armoricaines, effectuées selon un procédé de piquetage parfois très léger sur des surfaces préalablement dégrossies. Il y a des sortes d'écussons représentant la Grande déesse, et d'innombrables signes en U, des signes serpentiformes, des cercles et demi-cercles concentriques ou allant en ondulant.

Ses dimensions sont assez impressionnantes, bien que difficilement comparables à des sites tels que New Grange. L'ensemble a été restauré de façon à ce que l'extérieur du cairn restitue ce que les chercheurs pensent avoir été son aspect primitif, sur le sommet d'une butte. Visible de très loin.

La plupart des dolmens dits "simples" qui se trouvent en Europe sont les vestiges de monuments plus importants qui n'ont pas résisté au temps et à l'Histoire. Comme tous les mégalithes de type dolmèniques, ils étaient à l'origine enfouis sous un tertre funéraire, constituant une sorte de portique sacré.

Toutefois, ceux que l'on trouve le plus souvent dans la partie continentale (par opposition aux îles britanniques) sont de constitution plus simple et nettement plus petite que leurs homologues, ne formant qu'une chambre sas couloir d'accès. La table de pierre sert de porte, et le tout est recouvert de terre, ce qui constitue le cairn, pouvant lui-même avoir des proportions variées. La plupart du temps, les dolmens de ce type étaient constitués d'une dalle de couverture assez grande de trois supports, mais il pouvait y en avoir davantage. On les trouve en grande quantité au sud du Massif Central.

La petite taille des tables dolmèniques de l'Europe continentale vient vraisemblablement du fait que les cairns auxquels elles étaient destinées ont été dressés à la fin du Néolithique, sans doute aux débuts de l'ère du métal. Or, il semble qu'à partir de l'âge du cuivre les gens n'aient plus bâti de vaste monuments de pierre, se contentant de petites chambres dolmèniques sans couloir d'accès. C'était déjà la fin de l'ère mégalithique, qui se concrétisa entre -2000 et -1800, à l'âge du bronze. A cette époque, on se contentait d'un sépulcre de pierre sous un petit tertre.

Les chambres dolmèniques étaient des sanctuaires rituels dont la fonction première semble avoir été funéraire. Bien que certains cairns fouillés n'aient révélé aucune trace de sépulture, les chercheurs pensent que l'acidité des sols granitiques et la double pratique funéraire reconnue pour le néolithique (inhumation - crémation) peut l'expliquer, et que la fonction sépulcrale des cairns reste une évidence. Lorsque les corps étaient inhumés, un rituel précis semble avoir existé quant à la position du corps. Par exemple, dans le cairn de Collorgues (Gard, France), une quinzaine de dépouilles avaient été disposés en rayon solaire. Dans certains cairns, les corps avaient subi des mutilations (perforations crâniennes) suggérant des cérémonies précédant l'inhumation. Certains estiment qu'il y aurait un rapport entre le phénomène des portes trouées et celui de la perforation du crâne des défunts après leur décès. On imagine que ce serait pour permettre à l'âme de quitter le corps et le tombeau pour accéder à l'autre monde. D'autres pensent que c'était pour passer de la nourriture au défunt. Quoi qu'il en soit, on ne saura jamais exactement à quoi cela pouvait correspondre, et tout, pour l'heure, n'est que pure conjecture en ce qui concerne les mégalithes.

Voici ce qu'en dit Marcel Jullian, lorsqu'il est allé voir le site de Filitosa, en Corse du sud:

"D'où vient ce bouleversement , cette sorte de fièvre communicative qui, après le Vè millénaire avant notre ère, semble avoir touché une grande partie des vivants ? les morts y participent à leur insu. "Bien qu'il demeure des points obscurs quant à leur signification, écrivent Jean-Dominique Cesari et Lucien Acquaviva, on ne peut s'empêcher de penser que les statues-menhirs sont liées étroitement à l'idée de la mort. Les premiers menhirs-stèles du IIIè millénaire étaient associés à des coffres mégalithiques, les suivants à des dolmens."

Souvent, l'artiste s'est appliqué à représenter, plus ou moins symboliquement, le mort qu'on mettait en terre. C'était pour les funérailles de personnages marquants de la tribu. (...) On ne peut pas ne pas songer, à ce stade de l'interprétation des mégalithes, à la comparaison entre la rigidité du cadavre et celle de la pierre levée. Entre les deux, les similitudes sont nombreuses et évidentes: l'immobilité, le silence, la non-communication avec les vivants. Les statues de Filitosa ont taille d'homme, contour rudimentaire d'homme. Elles prennent sa place. Elles lui confèrent une éternité minérale."



-II-
L'ÉNERGIE QUI FAIT VIBRER LA NATURE
(L'OND - L'AXIS MUNDIS - LES VERTUS DES PIERRES LEVEES)

· L'OND:
Le langage des pierres - ou l'intérêt immémorial des peuples pour certains lieux - peut s'interpréter en fonction du conglomérat de forces, d'énergies qui en émanent.

Ce phénomène se cache sous bien des noms dans la plupart des cultures. Ainsi, nous connaissons le "prana" hindou, le "pneuma" de la Grèce antique ou encore le "qi" de la géomancie chinoise, qui n'en sont que des interprétations, tout comme le sont "l'agent formateur universel" des alchimistes, "le magnétisme animal" de Mesmer, le "vril" de la Théosophie, "l'orgone" de W. Reich ou encore "l'odyle" (ou force odylique) de Recheinbach. On parle plus généralement de tellurisme et de géomancie.

Dans la tradition nordique, ce phénomène porte le nom de OND. C'est celui que je choisis d'utiliser dans cet article, car c'est dans cette tradition que s'inscrivent les constructions mégalithiques qui me serviront d'exemples.

Dans ce cadre, il n'y a aucune différence entre le sacré et le profane. Le monde dans lequel nous (nos ancêtres) vivons, les êtres qui l'habitent avec nous ainsi que nous-mêmes sont considérés comme un élément du tout, du sacré. De la déesse-mère. De la terre.

Chaque chose, vivante ou "inanimée", est un élément du tout universel, possédant une part du pouvoir divin créateur à partir duquel elle a été engendrée et vers lequel elle retournera un jour. La terre elle-même entre dans ce système. Le Tout peut se définir comme un continuum matière-espace-temps de l'univers, lui-même entrant dans un complexe de type "multivers": tout est un cycle, sans début, et sans fin.

L' Ond est une essence active et naturelle qui traduit cela, appartenant à la fois à une réalité matérielle et à des phénomènes "magiques", spirituels. Ce flux d'énergie émane de la terre, de ce qui la compose, des êtres qui la peuplent. Il se manifeste à des degrés divers, et ne se perçoit que dans certaines circonstances (lieu sacré ou sacralisé, rites, période de l'année (astronomie, saisons, équinoxes...)). Cette énergie est reconnue par certains scientifiques qui, sans parvenir à l'expliquer totalement, l'étudient au cas par cas ce qui ne manque pas d'en altérer l'interprétation: Ce n'est pas simplement un agent servant au transfert d'énergie par des moyens chimiques, magnétiques ou électriques, d'autres paramètres "quantifiables" doivent être pris en compte, comme la géométrie, ou les feux qui animent toute chose et tout processus matériel. D'autres, encore, restent plus "ésotériques" et tendent à avoir été oubliés au fil des millénaires sans que les croyances en soient toutefois totalement effacées...

Cette énergie, l'OND, vient du ciel et, attirée par les points élevés, s'écoule vers la terre comme le fait l'eau, l'air, ou la foudre. Le paysage en détermine la direction, la densité du flux ou même la forme. Certains lieux sont réputés propices à sa concentration, et ce sont généralement eux qui ont vu depuis les plus lointaines origines de l'éveil spirituel humain l'établissement des sites "sacrés". Légendes et traditions mythologiques se font les échos de ces anciennes perceptions, et rapportent des phénomènes tels qu'apparitions d'Esprits (de la Terre, comme les landvoettir ("êtres des lieux"), les esprits tutélaires (ou "yarthkins") ayant des effets bénéfiques ou nuisibles sur les activités humaines. Je citerai aussi en guise d'exemple les phénomènes des éclairs et des feux de Saint-Elme, qui illustrent le principe des manifestations externes de ces flux énergétiques et leur interprétation légendaire, voire superstitieuse.

Cette énergie est également présente dans les êtres vivants eux-mêmes, surtout lorsqu'ils sont en harmonie avec l'environnement, et plus réceptifs. Magiciens, géomanciens, druides, chamanes, praticiens des arts méditatifs, guérisseurs ou "illuminés" savent l'utiliser, ont conscience d'elle. La connaissance des procédures rituelles (gestes, paroles, postures) transmise généralement de bouche à oreille, d'initié à initié, permet de concentrer et de diriger l'Ond. De faire communier cette énergie terrestre, celle des éléments (comme les pierres qui semblent être d'excellents conducteurs) et celle qui est présente dans l'organisme humain, pour passer en quelque sorte d'un monde matériel à un (ou des) monde(s) spirituel(s). íVoir "axis mundis"ý

Dans la tradition nordique, il existe une forme personnifiée de l'Ond, la Hamingja, qui est cette énergie contrôlée par l'homme, permettant des métamorphoses ou le développement de dons, de pouvoirs magiques à l'officiant. Elle apparaît le plus souvent dans les légendes sous l'aspect d'un esprit-gardien attribué au lieu-dit. Elle se manifeste sous la forme d'un halo lumineux qui entoure le corps, ou d'une poussière ardente jaillissant de la paume des mains. Certains travaux effectués en Chine sur les arts martiaux expliquent qu'on a mesuré en 1978 une radiation de type infrarouge dans la paume d'un maître qigong émettant le qi, et qu'en 1979, on a démontré que le qi émis du bout des doigts par un autre qigong était en fait un courant de fines particules à charge électrique. Au XVIIIè siècle, Mesmer s'est vu expliquer par l'un de ses patients qu'une poussière ardente émanait de ses mains quand il opérait ses passes magnétiques. De tels phénomènes sont récurrents dans les traditions populaires et religieuses, et la plupart des saints en furent l'objets (halo autour de la tête) à l'instar des divinités païennes.

Pour en revenir aux mégalithes, on voit bien que le choix de leur localisation ne fut dans doute pas due au hasard, et que leur utilisation, fortement liée à un symbolisme que nous tenterons d'étudier plus loin, était aussi liée aux pouvoirs attribué au site lui-même. Ces émissions d'énergie ont été mises en évidence dans un cercle de pierres en Angleterre, par des chercheurs du groupe d'étude appelé "Mystères de la terre" ou "The Dragon Project".


· L'AXIS MUNDIS

Que ce soit l'arbre scandinave Yggrasill, ou le système des mondes spirituels des bardes celtes, l'axe cosmique (ou axis mundis) décrit le monde, et même le fonde, le définissant en quatre cercles d'existences, quatre dimensions reliées entre elles par cet axe vertical. Rapporté par le barde celte Llewellyn Sion of Glamorgan( 1560-1616) il peut se résumer ainsi:


CEUGANT
non accessible aux humains et aux esprits. Seuls les dieux y ont accès
demeure du créateur transcendant Hên Ddihenydd, le Père de Tout
(chez les scandinaves: Alfaddyr, Odin, ou Wodan
Porte le nombre symbolique 81, carré parfait
C'est là que se trouve le trône d'Odin, Hli¶kjálf
GWYNVYD
accessible aux Saints et aux demi-dieux, ainsi qu'aux personnes ayant transcendé leur cycle de réincarnation
Le Pays Blanc
royaume de la félicité
demeure des illuminés
chez les scandinaves: Asgard, la demeure des dieux et des âmes, lieu de lumière et de connaissance. Chiffre symbolique : 9
ABRED
(ou ADFANT)
le plan terrestre
"le lieu aux bords retournés"
Terre Plate
chez les scandinaves: Midgard, la Terre du Milieu, le monde de la matière
Nombre symbolique: 27
ANNWN
l'abysse, l'enfer
Monde de la Repurification
Abysse, peuplé d'âmes et d'esprits mauvais
Monde Inférieur
"le pays sans amour", "le pays invisible"
lieu des âmes et de la matière non manifestées et informées"



La conception spirituelle du (des) monde(s) autour de cet axe vertical permet de visualiser les interactions supposées entre les différents plans et les voies (symboliques) des flux énergétiques passant de l'un à l'autre grâce à la méditation, le rituel, l'harmonie et la compréhension de l'Ond, par le biais des "portes" que sont les mégalithes.

Par ailleurs, on pense que certains édifices mégalithiques et/ou labyrinthiques peuvent avoir été conçus pour reproduire certains de ces plans, notamment celui de l'abysse d'ailleurs très présent dans les diverses mythologies. Que ce soit sous la forme des sagas, des Eddas, des contes populaires qui bien que "christianisés" ont gardé quelques constantes, les traditions nordiques faisant référence à cela sont parvenues jusqu'à nous par bribes.

Nous savons par exemple que pour ce qui est du nord de l'Europe, l'utilisation des sites pour bénéficier ou utiliser l'énergie qui y était concentrée, passait nécéssairement par la pratique de la méditation, ou UTISETA ("siéger dehors"). Cela supposait un cérémonial souvent solitaire sous les étoiles, assis ou debout, dans une posture dite magique, identifiable sur certaines figurines danoises et rappelant les pratiques bouddhistes. Il fallait en outre se trouver dans des lieux adaptés, isolés et énergiquement puissants: les "anciens" sites sacrés du néolithique, à forte qualité numineuse et géomantique, furent pratiquement tous récupérés par les celtes.

L'idéal résidait par conséquent dans les points élevés, déjà occupés par des rémanences néolithiques, des tertres funéraires, des montagnes sacrées (tumulus) ou des cercles mégalithiques.

Suivait un rituel incantatoire (fondé sur les runes pour le nord, et "mantra" pour l'Inde). Un voyage mental pouvait alors avoir lieu, voyage intérieur ou véritable pèlerinage "physique bien que mental" dans un endroit possédant un pouvoir mantique (cf. Axe) important. Ce dernier avait une réalité propre, impliquant une progression le long de sentiers bien définis, de pistes sacrées menant à un lieu tout aussi sacré, le long de l'axe. Cela reste un voyage à travers des paysages intérieurs duquel l'officiant devait retirer un savoir "divin" et, en tout cas, revitalisant.

La plupart des "sorciers" pratiquant cette UTISETA utilisaient donc ces sites, tertres de maisons de terre combinés et accaparés pour leur usage transcendantal. Certains de ces édifices se doublaient de souterrains sous les tumuli. D'ailleurs, de nombreux textes attestent de l'utilisation des plates-formes des tertres (tables dolmèniques) par les völva (prophétesses) norroises jusqu'au XIIè siècle en Norvège (et XVIIè siècle en Hollande !). Ces loges chamaniques ont suivi le modèle des anciens cairns à chambre ou tombes à couloirs qui s'imprégnaient d'observations solaires et de rites sacrés perdus dans le temps, comme c'est le cas en Irlande pour Newgrange.


· VERTUS DES PIERRES LEVÉES:

Comme nous venons de le voir, les mégalithes peuvent se concevoir comme des vecteurs de l'Ond. Ils bénéficient et catalysent cette énergie profonde, faite de mystères, de phénomènes telluriques et géomantiques, et semblent la retransmettre sous la forme de dons guérisseurs, si l'on se réfère aux traditions qui les entourent, et à la toponymie. A l'instar de leurs petites soeurs utilisées comme amulettes ou comme ingrédient (cf. les lapidaires et autres manuels traitant des pouvoirs des pierres précieuses), des vertus curatives leur sont effectivement souvent attribuées (aux pierres levées ou aux sites sur lesquels elles se dressent) à travers les superstitions et les légendes, la tradition orale. Ainsi, nous pouvons évoquer le cas du dolmen d'Ymere (Seine-Maritime) sous lequel les gens souffrant des reins ont coutume de se glisser pour obtenir sinon la guérison du moins le soulagement de leurs maux.

De la même façon, la toponymie est riche d'enseignement dans un domaine où l'écrit est absent, quant au rapport étroit existant entre ces pierres et la maladie, voire la mort. Par exemple, j'évoquerais le menhir "la Croix des Morts" à St-André de Charançon (Haute Loire), ou le dolmen "le Cros des Mourgues" à St-Germain Laprade (Hte Loire). On trouve aussi un dolmen appelé "Puech Mort", ou "Homme Mort" dans l'Aveyron, dont le nom ne fait que souligner le caractère funéraire des dolmens.

Je note toutefois une évidence qu'il ne faut pas perdre de vue: il s'est écoulé bien des millénaires depuis la construction des premiers mégalithes, et leurs noms d'origine ont depuis longtemps été oubliés et remplacés par un héritage grec et/ou latin, christianisé, ou adapté à des légendes "événementielles" locales. L'origine préceltique reste néanmoins sous-jacente dans de nombreux cas, notamment lorsqu'il est question de pierre, table, tuile, creux, vieille, puy, ker ou cayre. Ainsi, je citerais la Pierre des Fièvres, au Puy, et la Pierre des Fébricants, en Bretagne.

Par exemple, les toponymes comportant le terme "pierre": on a une racine archaïque basée sur les sons [KR], [KL] ou [WI]. Ainsi, le "Chaillou magnen" à Imphy (Nièvre).

Les sonorités [KR], [KL] ou [WI] sont très anciennes et pourraient avoir appartenu à une langue "sacrée" de l'âge du fer. La plupart des toponymes actuels ne remontent pas au delà de l'âge du bronze, ce qui présuppose que les Indo-européens en Inde, Grèce et Europe occidentale aurait détruit les cultures autochtones qui ont érigé les mégalithes les plus anciens. Cette lutte terrible entre les peuples bâtisseurs de mégalithes et les Indo-européens se retrouve dans les principaux mythes guerriers : dieux contre titans (Grèce); Rama contre Ravana (Inde); Fomoiré contre Thuátha (celtes).

Mais les évocations, les références 'revigorantes" liées à la pierre levée, soulignent une constante pré-indoeuropéenne, celle de la déesse-mère. Cela se traduit dans la toponymie -même altérée- en relation avec la demeure, la Vie et la Mort, la maladie, et la pierre elle-même. La pierre est la mère, le noyau originel, la Terre.

(c) Claire Panier-Alix 1999

17 novembre 2006

ARTICLE : LE ROLE RIDACTIQUE DES CONTES

Le conte est un outil didactique exceptionnel qui reste toutefois méconnu, car trop souvent victime d’idées reçues.

Les idées qui ont marginalisé le conte :

1°) « Les contes sont pour les enfants »

Dans un milieu traditionnel actif, la narration de contes a presque toujours été destinée à des auditoires d’adultes, les enfants formant un public toléré, certes, mais accidentel, sauf dans le cas des contes d’avertissement qui leur étaient spécifiquement adressés car leur fonction était avant tout éducative. Le préjugé portant sur le caractère enfantin des contes tient en partie au fait que certains d’entre eux ont été soigneusement édulcorés, infantilisés, adaptés, au point de devenir sans attrait pour les adolescent et les adultes. Il incombe donc aux enseignants (et aux conteurs) de reprendre et proposer aux apprenants des versions non édulcorées des contes traditionnels. Travailler avec un public d’adultes revient donc à vouloir rendre au conte son auditoire initial.

2°) « Les contes sont surannés »

Le conte reflète, avec plus ou moins d’insistance, des composantes humaines intemporelles. L’attitude et les sentiments des petits vis-à-vis des classes considérées comme supérieures, la quête d’amour, de richesse, de pouvoir, de bonheur, de philtres guérisseurs sont autant de thèmes que l’on rencontre dans les contes merveilleux. Le conte est intemporel ; la preuve est que l’on retrouve cette même thématique dans les histoires actuelles proposées au cinéma. De plus, sa qualité d’œuvre collective, c’est-à-dire de création simultanée à la fois par le conteur et par son auditoire, fait du conte un instrument auquel il est possible d’adapter des éléments contemporains, et qui par conséquent évolue.

3°) « Les contes ont un lexique désuet »

Ceux qui reprochent au conte d’avoir perdu son intérêt avec le temps insistent sur les mots vieillis qu’on y rencontre. Parler, par exemple, de « quenouilles » et de « fuseaux » ou encore de « bûcherons » et de « bergères » parait absurde pour certains. Le conte ne dresse pas l’inventaire des outils jadis utilisés et encore moins le répertoire des professions disparues ou en voie d’extinction. Son vocabulaire est loin d’être un obstacle à son utilisation en classe de langue étrangère et les quelques mots difficiles peuvent être remplacés par leurs synonymes ou encore décrits par des gestes.

4°) « Les contes sont faits pour être lus »



Nés et propagés dans des cultures sans écriture, les contes ont toujours été transmis oralement. Mais quel était le mécanisme qui permettait à ces peuples de se remémorer des récits parfois très longs ?

a- Conte et mémorisation

L’organisation de l’information est le facteur décisif de la mémorisation. Sans structuration, le stockage de l’information est très difficile, voire impossible. Le schéma formel conventionnel du conte, sa forme rythmée, ses clichés verbaux, ses structures énumératives sont des éléments qui facilitent sa mémorisation. Le fait que le conte est facilement mémorisable est très utile dans l’apprentissage des langues.

b- Des paysages familiers

Indépendamment de cultures ou de nationalités, l’auditoire connait ce qu’est un conte : un récit d’évènements fictifs produit dans le but de divertir, dont la fin est toujours heureuse. La structure du conte, particulièrement contraignante, peut être considérée comme archétypale : d’où cette impression de quelque chose de toujours différent mais aussi de très familier. Cette organisation rigide permet à l’auditeur de reconnaître les étapes du récit et de les rattacher au schéma narratif déjà connu dans la langue maternelle. La compréhension de la signification des éléments du conte joue un rôle déterminant dans la mémorisation. Comprendre c’est précisément intégrer l’élément nouveau à un ensemble déjà existant, c’est l’introduire dans un réseau de relations, dans une structure déjà établie.

c- Une narration rythmée

La forme rythmée des paroles du conte est un support de la remémoration dans la mesure où elle constitue une sorte d’infrastructure sur laquelle les mots viennent se greffer. C’est donc dans l’organisation phonétique de l’information que réside aussi la mémorisation. Par ailleurs, dans certains cas la technique de la rime permet de retrouver plus aisément les mots qui suivent.



d- Une fiction facile à identifier

Les clichés verbaux peuvent se situer soit au début et à la fin du conte, soit dans le corps du récit. Les formules d’encadrement (introductions ou clausules formulettes d’ouverture ou de fermeture du conte, comme « il était une fois… » ou « cric-crac, mon conte est dans le sac ») ont pour fonction principale de souligner l’aspect fictif du récit. Quant aux autres formules typiques, elles sont souvent liées à une situation ou à un personnage. Elles forment une sorte de rallonge qu’il est permis d’insérer à divers moments de la narration. Ces clichés verbaux accordent un moment de répit au conteur et lui permettent de marquer le pas tout en réfléchissant à ce qui va suivre.

e- Un classement aisé

Les structures énumératives jouent le même rôle que les clichés, mais interviennent sur la composition du conte. Ces scènes ou structures, regroupées par deux ou par trois, permettent de classer les informations. Grâce à ces multiples redondances, l’auditeur peut « récupérer » au cours de la narration un élément qu’il aurait mal saisi.

Le conte se prête particulièrement bien à l’introduction d’expressions imagées qui peuvent être aisément associées et mémorisées dans le contexte bien précis de ce type de narration.

Le conte résulte d’un travail qui associe étroitement mémoire et création. Quand on parle de mémorisation, il ne s’agit nullement d’apprentissage par cœur. Le conteur raconte pour un public et il modifie l’histoire en fonction des attentes de ses auditeurs. Il s’agit de la remémoration constructive des éléments dont il dispose. Bien sûr la part respective de l’improvisation et de la mémorisation peut varier, mais ce qui importe c’est que le conte laisse une marge étonnamment grande à la reconstruction créatrice de ses éléments.

f- La narration de contes

La compétence de compréhension s’acquiert plus vite que la compétence d’expression. Plus on écoute de contes et plus leur structure devient familière. Il est important de créer un rituel, d’accorder au conte son « moment » dans la classe, un moment d’écoute qui doit précéder celui de la production et de la création. La répétition de contes suscitera une succession d’attentes aux apprenants qui auront repéré et identifié l’organisation interne du conte. Une organisation avec laquelle ils sont déjà familiers, puisque la narration de contes renvoie automatiquement à des lieux connus de l’univers maternel. Cette structure rigoureuse du conte obligera l’apprenant, lors de la narration de contes, à en respecter l’articulation. Il ne pourra pas contourner les difficultés, mais devra se débrouiller pour utiliser au mieux tout son bagage linguistique en langue étrangère afin de ne pas abandonner son histoire en cours de route. Une telle contrainte est absente dans d’autres discours souvent produits à ce niveau, discours descriptifs répondant à des consignes du genre « racontez un film que vous avez vu récemment » ou encore « qu’avez-vous fait dimanche dernier ? »




Nous avons déjà mentionné que la thématique du conte est proche de celle de certains films. Pourtant, le conte est beaucoup plus facile à raconter qu’un film où l’image est beaucoup trop présente et il est difficile, voire impossible, de s’en dégager. Le conte, sauf quand il est adapté sous forme d’album, est une narration sans images. Il appartient à l’auditeur de se créer des images mentales qui feront partie de son univers. Et, chose très importante pour ceux qui débutent dans l’apprentissage d’une langue étrangère, les pauses, les hésitations, les silences ne sont pas bannis lors de la narration d’un conte mais fortement recommandés comme faisant partie du jeu.


g- Le conte, un outil interculturel

Quand une mosaïque de nationalités compose la population de la classe, quand on y rencontre des personnes d’âges et de formation diverses, il est difficile de trouver un domaine commun et connu de tous. De quelque culture qu’il provienne, le conte appartient à des lieux connus de l’univers maternel et permet, de par son universalité, de faire le pont entre les différences culturelles et d’établir un dialogue.

Les classes de primo arrivants ou d’élèves en grande difficulté ont souvent recours aux contes de la culture d’origine pour intégrer les élèves au système scolaire et leur permettre de progresser dans la maîtrise de la langue du pays d’accueil. À titre d’exemple, nous citons les actions menées en 2000-2001 dans deux collèges d’Avignon : « Comme outil d’apprentissage, nous avons donc choisi d’utiliser avec ces élèves la richesse de leur culture d’origine, à travers le conte oral. D’abord, la collecte des contes par les élèves auprès de leur famille permet d’impliquer celles-ci dans le monde scolaire et de créer un lien trop souvent inexistant. De plus, la reconnaissance et la mise en valeur de la culture de chacun est un puissant facteur d’intégration. Sur le plan de la langue, le travail sur le conte permet une multitude d’acquisitions et offre de nombreuses pistes d’activités. Enfin, raconter une histoire à sa classe oblige l’élève à s’impliquer et à devenir acteur de ses apprentissages. »

Si, en écoutant un conte « d’ailleurs », les élèves d’« ici » s’étonnent d’y reconnaître une histoire familière, le sentiment d’une identité commune en sera renforcé. D’un autre côté, pour ce public venu d’« ailleurs », l’intérêt porté à sa culture d’origine ne peut le laisser indifférent. C’est une façon d’être reconnu, accepté et valorisé. Et c’est justement la mise en valeur de la culture de chacun qui est un puissant facteur d’intégration et une amorce d’un dialogue interculturel.



Le conte relève du monde de l’enfance et est marqué par l’affectivité. Raconter un conte installe d’emblée une ambiance conviviale dans la classe, ambiance qui facilite la prise de parole et l’acquisition d’éléments de la langue étrangère. De plus, la régularité des structures du conte représente une forte incitation à toutes les activités de créativité (imaginer la suite du conte, le conte à l’envers, la « salade » de contes, etc. pour reprendre quelques-unes des propositions de Rodari dans sa Grammaire de l’imagination, Rue du monde, 1998) qui pourront compléter son utilisation en classe de langue étrangère.

Décidément, le conte a encore des tours dans son sac…

12 novembre 2006

Parution : calendrier FAERIES 2007


Comme tous les ans, j'ai participé avec plaisir au calendrier d'art des éditions Nestiveqnen.
Cette initiative a en effet le mérite d'honorer chaque année l'un des illustrateurs-phare de la fantasy mondiale en lui consacrant un calendrier grand format mettant en perspective un panorama de ses oeuvres, que des écrivains illustrent de courts textes inspirés de ces dernières, exercice à la fois difficile et original puisque c'est d'ordinaire le contraire.

Mes précédentes contributions aux calendriers "FAERIES" se trouvent sur mon site

http://panieralix.free.fr/index.htm


le calendrier est d'ores et déjà en vente partout. On le trouve très facilement aussi sur fnac.com (où les anciens modèles sont parfois encore disponibles.)

04 novembre 2006

ECRITURE : petits trucs...

Mon plan de vol quand je décide d'écrire un nouveau roman :

PROCEDURE :
I/ LA TAMBOUILLE
1/ définir :
le thème
décors/contexte
Pitch-Description de l’histoire
Préhambule
Prémisse
élément déclencheur

(JE M'INTERROGE ALORS SUR LES CONFLITS :
Problème majeur à résoudre
Problème secondaire à résoudre
sous-intrigue et histoire(s) parallèle(s))

2/ rédiger le 1er synopsis
dessiner la ligne du temps (peut être différente du découpage du texte)

3/ Fiches préliminaires
- personnages (à tenir à jour s’ils changent en cours d’écriture) :
protagoniste(s), antagoniste(s), personnages secondaires
--> leur symbolique, leur rôle, leur histoire antérieure, leur motivation, leur ambiguité, leurs caractéristiques (physique et caractère)

- lieux

II/ LE DECOUPAGE-TYPE POUR LA STRUCTURE DU ROMAN
Va servir de fondation mais va évoluer et se dissoudre dans le texte au fur et à mesure qu’il se construit et prend sa vie propre.

ACTE 1 : le début
Un monde/climat ordinaire. Tout est calme
L’appel de l’aventure (à cause de l’élément déclencheur)
Le refus de l’appel (anti-héros)
La rencontre avec le mentor ou avec la motivation du héros
Le premier seuil/écueil

ACTE 2 : le cœur du roman —> la crise
Alliés et ennemis testent le héros et sa qualité : épreuves
L’approche de la caverne où sont censés avoir lieu révélations et acte de bravoure
Epreuve et récompense ou épreuve et échec
En cas de réussite le héros s’endort sur ses lauriers
En cas d’échec il est en proie au doute

ACTE 3 : le paroxysme de la crise et le dénouement in extremis
Positif : ouvert
Negatif : fermé

Détailler ensuite les parties en chapitres en développant les axes.

En pratique,généralement je ne suis pas du tout le plan établi au préhalable. A force de travailler dessus, il perd de sa substance mais ce travail m'a permi de développer quelque chose d'impossible à retranscrire suivant un schéma détaillé, et seul le pitch reste valable. L'histoire a alors pris la forme d'une espère de toile d'araignée en 3D que j'ai en tête, à la fois de façon "intuitive", très précise, et impossible à résumer. C'est le moment de l'écriture elle-même.
J'écris directement au clavier. Si possible de façon très régulière (tous les jours, à la même heure) plusieurs heures de suite. Cette trame informelle se déroule toute seule, je n'ai qu'à laisser venir.

Je fais des tirages de chaque partie écrite et la corrige sur papier : relecture (parfois découverte), biffage, corrections de forme, travail de la langue... Je saisis les modifications et refais un tirage, etc..

Par contre, une fois le premier jet terminé (pour moi, le manuscrit terminé (début-milieu-fin, sans tenir compte des multiples corrections déjà apportées), je fais une relecture linéaire, et je vérifie le fond, la cohérence, le rythme, la résonnance...

Vient alors la longue période de souffrance (hi hi hi) : un travail en millefeuille, relecture/correction relecture/déplacement relecture/suppression... Le lissage peut durer éternellement, c'est sans fin. Souvent, ça bloque. Quelque chose d'indéfinissable me gène, tenant au rythme ou bien au découpage.

Il me faut donc trouver des lecteurs-test pour qu'ils mettent des mots - le cas échéant - sur ce qui ne va pas. Une fois le manuscrit récupéré, je dois encore me faire violence, cette fois pour être de bonne foi et accepter les remarques que j'ai pourtant réclamées... Après examen et réajustement... relecture, encore, pinaillage, corrections...

ah si seulement on pouvait s'en tenir au plan-type du début ! aux fiches des personnages ! voire même au pitch linéaire et simple !

03 novembre 2006

Nouvelle : SF et Sherlock Holmes

cadeau du jour : le texte de la nouvelle écrite à l'occasion de la dernière convention nationale de science-fiction, cet été (publication : voir le post du 17 septembre 06)
un petit délire inattendu...

« UN CIGARE, WATSON ? »
de Claire Panier-Alix © 2006





« J’ai longtemps hésité à relater l’aventure qui m’arriva à Reichenbach. Je portais le deuil de mon cher ami Sherlock Holmes depuis un an , et toute l’Angleterre reconnaissait le noble sacrifice qu’il avait fait de sa si précieuse existence en la débarrassant de l’Araignée, l’infâme professeur Moriarty. En vérité, je soupçonnais que c’étaient ses aventures qu’elle pleurait le plus. À peine arrivé en Suisse pour me recueillir au-dessus du gouffre, je me retrouvai entouré par une foule de touristes venus visiter les lieux grandioses qui s’étaient refermés à jamais sur les dépouilles des deux génies.



En mai 1892, le funiculaire qui dessert les tristement fameuses chutes de Reichenbach n’existait pas encore, et le pèlerinage passait par une lente et coriace ascension. Contrarié par la présence de tous ces badauds venus exhiber leur coûteux équipement (par ailleurs inadéquat) devant des guides de fortune, je tâchai de m’écarter du groupe, pensif et mélancolique. Le site était pénétré de la scène atroce à laquelle j’avais assisté, impuissant. Tout me revenait, à mesure que je me rapprochais des chutes, étourdi par son vacarme. Bientôt, la présence de Holmes se fit insistante, en moi. Il me semblait l’entendre, par bribes, encore pris dans ses tourments et ses fièvres géniales. Nous avions vécu tant d’aventures, ensemble ! Ah ! il me manquait, plus rien n’avait de saveur depuis sa disparition, et mes précieux carnets avaient été relégués au fond de ma malle, tandis que j’avais repris la morne existence d’un petit médecin de quartier. Mais mon épouse, Mary, était morte à son tour, et je n’étais plus qu’un homme vieillissant, veuf, seul avec ses souvenirs. Au moment de ce pèlerinage en Suisse, désorienté et doublement malheureux, je venais de céder ma clientèle au jeune docteur Verner.
Les vapeurs glacées émanant de la vertigineuse chute d’eau me ramenèrent à la réalité, et je réalisai que, perdu dans mes pensées, je m’étais égaré. J’appelai, les poumons en feu, les mains en porte-voix, mais je dus me résoudre : mes cris étaient avalés par le mugissement de la cascade. Voulant m’en éloigner, j’empruntai un chemin plus escarpé encore, espérant rejoindre les autres là-haut, sur la plateforme d’observation. Hélas ! les vapeurs d’eaux se firent de plus en plus denses, et le jeu du soleil sur les gouttelettes en suspension m’aveugla, faisant mirage. Déconcentré par ce que je crus être une silhouette humaine et qui ne devait être qu’un éperon rocheux ou un arbre, je levai la main, glissai sur la roche boueuse et tombai… Pour me retrouver au fond d’une combe cachée par la végétation et par l’épais brouillard émanant de la cascade.
Là, il n’y avait que ténèbres.

*

N’y voyant goutte, j’avançai au jugé, tâtonnant devant moi avec ma canne-piolet. J’avais toujours ma bonne vieille boussole d’officier, mais l’aiguille s’affolait à la lueur de mon briquet. Ce fut donc par hasard que je me retrouvai à l’entrée d’un tunnel. « Sans doute l’une de ces anciennes mines médiévales qui grignotent les imposantes montagnes helvètes, abandonnées et comblées lors de la Grande Peste Noire », me dis-je. Poussé par la curiosité et par le souvenir de mon ami disparu qui n’aurait pas manqué pareille occasion de se documenter, je m’y engouffrai.
Le boyau de pierre était plein d’échos. Parfois, on aurait dit des voix, des bruits de ressacs, des plaintes, des chants… Sur les murs étaient encore accrochées des lanternes de fer. J’essayai d’enflammer la première en vain, puis une autre, et enfin la lumière jaillit. Les sécrétions minérales s’emparèrent des restes de poutres de bois cloutées de fer, formant des arches et des colonnes grotesques, brillantes du ruissellement d’eau brune qui suintait sur les vestiges miniers affleurant encore à la surface de pierre. Quand je me retournai, je ne vis que la gueule de la caverne, donnant sur la combe enténébrée et le brouhaha de la cascade. Je savais que ce n’était pas raisonnable, mais je me laissai tenter et m’enfonçai encore un peu dans la mine…

*

Je trébuchai bientôt sur les montants de bois durcis par une couche de poussière pâle de scintillante. Je reconnus les restes des petits lits de sangles utilisés jadis pour descendre les ouvriers au fond des puisards, attachés autour de la grande corde qui servait aussi à remonter le sel. Je me rappelai avoir lu quelque chose à ce sujet concernant les mines salières d’Autriche et de Pologne, mais j’ignorai que celle de Reichenbach en fût une. Plus loin, au fur et à mesure que je m’enfonçais dans le boyau, je découvris plusieurs chapelles : l’autel, le crucifix, les statues des saints, tout y était, creusé dans le sel gemme. Saisi d’un pieux effroi, je fus pénétré par l’ambiance sacrée des lieux. La mort, sanctifiée, était partout, et le temps, comme dans un sépulcre que je profanai, était suspendu.
Je finis par déboucher sur grande chambre caverneuse trouée par une multitude de tunnels abandonnés, à en juger par la toute petite portion que ma lanterne parvenait à révéler. Je levai cette dernière plus haut, étouffai un cri de terreur, tremblant comme une feuille, et m’empressai de la baisser.
Mes regards venaient de croiser celui d’un homme émacié, affalé contre un pilier minéral, sa chevelure, ses sourcils et ses cils recouverts d’un givre argenté.
Je pris quelques secondes avant de trouver le courage d’éclairer de nouveau ce coin de la salle, inquiet à la pensée d’avoir trouvé la dépouille de mon ami. Finalement, je surmontai ma peur et dévisageai le corps. Amaigri par la dessiccation, il restait reconnaissable. Et ô combien ! ces traits étaient ancrés en moi aussi sûrement que les abominations qui lui étaient attachées : imberbe, pâle, ascétique de visage et de corps, les yeux déjà naturellement caves à présent complètement avalés par les orbites, cette figure altière et pleine de cruauté se projetait en avant comme celle du serpent qu’il était de son vivant.
Le professeur James Moriarty.
Fidèle aux préceptes holmésiens et à mes réflexes de médecin, je surmontai ma répulsion et ma légitime angoisse de retrouver, plus loin, la dépouille de Sherlock, et l’examinai. Je constatai qu’il avait eu les jambes brisées, sans doute par sa chute. Il avait dû souffrir le martyre en se traînant jusqu’ici. Dans son poing crispé, un stylo dont la plume d’or brillait encore malgré les taches d’encre séchée et un début de corrosion. Du coin de l’œil, j’aperçus un carnet, qui avait dû choir sur le sol lorsque le corps s’était enfin affaissé sur le côté, au moment de l’ultime soupir.
Je vous épargnerai, Lecteurs, les derniers mots d’un génie du mal concernant une apparition dantesque, après les prévisibles divagations haineuses concernant son ennemi juré auquel il était certain d’avoir survécu : Un navire pétrifié, intact, enserré dans des concrétions comme si le ventre de la montagne s’était refermé sur lui pour interrompre sa route intemporelle. Les voiles cristallisées, piquetées de diamants et d’or, pendaient encore aux cargues d’un autre âge, d’un âge inconnu. Dans son agonie, l’infâme professeur s’était imaginé, emporté par le vaisseau fantomatique, partant hanter encore une fois les nuits londoniennes. Tous ces joyaux, dans les voilures : de quoi remonter son organisation. Il s’était pris pour ces grandes figures qui sont appelées à revenir pour s’emparer du Monde : Charlemagne, Arthur, le Roi du Monde… L’équipage pétrifié qu’il croyait deviner dans les jeux d’ombres, qui accoudé au bastingage de pierre, qui pendu aux vergues, qui tenant la barre…
Et Holmes, Holmes, dont il s’était débarrassé.

Après une lecture rendue difficile par le manque de lumière, je jetai un coup d’œil au pathétique cadavre, mais ma pitié ne dura qu’un instant, à cause de ces derniers mots qui me rappelaient l’absence de mon cher ami. En me relevant, je levai ma lanterne afin de retrouver le boyau par lequel j’étais arrivé. Stupéfait, je découvris à mon tour la grande nef de pierre…
*
Je fus d’abord fasciné, mais des phénomènes étranges s’emparèrent de la mine, ou plutôt de moi : bruits, souffles, odeurs, visions… J’eus l’impression de voir la grande nef de pierre s’ébranler. Cédant à la panique, certain d’être poursuivi par une horde de spectres, je commençai à courir, me heurtant aux énormes fleurs minérales, aux stalagmites obscènes, aux parois glacées toutes dégoulinantes d’une eau ferrugineuse. Finalement, épuisé, je me raccrochai au souvenir de Holmes. Je m’adossai pour reprendre mon souffle et réfléchis : Comment aurait réagi Sherlock ? En deux temps trois mouvements, la panique reflua. Mon cartésianisme de médecin me conduisit à admettre que ces visions n’étaient que des mirages dus au confinement, à l’obscurité, aux jeux de lumière de la lanterne tremblotante sur les concrétions, et au choc suscité par ma morbide découverte.
Après un dernier regard au cadavre de Moriarty, je me demandai comment un cerveau pareil, même diminué par la folie et l’agonie, avait pu prendre l’énorme bloc rocheux pour un véritable navire. Comment ne s’était-il pas posé la question : que ferait un bateau dans une mine, dans le ventre d’une montagne, dans une caverne seulement desservie par un dédale de couloirs taillés de la main de l’homme bien après que la nature l’ait pétrifié, et de toute manière à peine assez grands pour qu’un mineur penché, poussant son wagonnet, pût y passer ?
Rassuré et satisfait par mon raisonnement, je me tournai une dernière fois vers la nef de pierre. Elle était horrible, rongée par les filaments minérals, suintante, sans forme distincte sinon cette silhouette évocatrice et troublante. Comme les images qu’on peut s’amuser à deviner dans les nuages, elle aurait effectivement pu passer pour un navire lapidifié, mais cela aurait aussi pu être quelque monstre de légende, tapi là depuis si longtemps que la montagne l’aurait fait sienne. Cet amas aurait pu être n’importe quoi, selon les jeux de lumière et d’ombres, selon l’angle, selon le degré de délire du malheureux qui le contemplait.
Je m’apprêtai à repartir quand un bruit me fit sursauter. Effrayées par la lanterne que je ne cessai d’agiter depuis mon arrivée, des centaines de chauve-souris s’étaient arrachées aux mâts de pierre et aux vergues minérales. L’une d’elles frôla de trop près un bloc rocheux qui se détacha et tomba de la nef — laquelle, vue de l’angle où je me trouvais à présent, ressemblait davantage à une énorme courge hérissée de verrucosités. Cela roula jusqu’au cadavre de Moriarty qui s’affaissa encore davantage et tourna vers moi sa face grimaçante. Le poing qui tenait encore le stylo d’or avait glissé, et le bras, raide, semblait à présent reposer, protecteur, sur une masse pâle qui appela les feux de ma lampe.
Une suée glacée s’empara de ma nuque. Tous mes poils se hérissèrent : un crâne, libéré de sa gangue de pierre par la chute, me fixait de ses immenses orbites creuses…

*

Bien évidemment, ma première, pensée, pleine d’effroi, fut : « Seigneur ! Holmes… », immédiatement suivie par une montée de bile à la vue de ce crâne généreux profané par l’abominable cadavre de l’Archi Criminel. La fureur s’empara de moi, et je me ruai, sans réfléchir, vers le Napoléon du Mal pour lui arracher la précieuse relique, lorsque la lanterne précisa les choses, stoppant net mon brave élan : le crâne était énorme, difforme quoique intact. Sherlock Holmes avait une boîte crânienne remarquable, encore qu’en rien comparable à celle de l’immonde Araignée, mais cette pastèque-là, c’était bien différent !
Mon imagination, rendue folle par la situation et l’étrangeté des lieux, songea à quelque ancêtre de l’Homme et, levant les yeux vers le grand amas rocheux qui prenait tantôt l’aspect d’un fin navire oblong, tantôt celui d’un immense cigare enfermé dans une gangue rocheuse, je murmurai : « une nécropole préhistorique ? ».
Troublé, piqué de curiosité, le docteur que j’étais étudia attentivement le crâne. Je n’avais jamais rien vu de pareil, mais je connaissais surtout la morphologie et les pathologies de l’Homme moderne. Je considérai d’un autre œil l’amas rocheux : masse oblongue, élancée, sculptée par des centaines de millénaires de sécrétions minérales… Il fallait que je voie cela de plus près. Se pouvait-il que ce crâne hydrocéphale fût aussi vieux, que ce fût celui d’un Homme primitif, d’un chaînon inconnu ? Quelle découverte ! Oubliant le cadavre momifié de Moriarty, je me lançai dans l’escalade…..

*

Ce ne fut pas facile. Le ruissellement avait lissé et arrondi la surface inégale ; Les rares aspérités que mes mains et mes chaussures de montagne, hérissées de courtes pointes, rencontraient, étaient glissantes et dures. Toutefois, la curiosité se fit plus forte que tout, et le rocher n’était pas très haut : la montée de la vallée jusqu’aux chutes du Reichenbach n’avait pas été une partie de plaisir, et du reste, je restai assez athlétique malgré mon embonpoint naissant. Ma canne-piolet n’était guère pratique, et je songeai un moment à en raccourcir le manche en la fracassant contre la roche. L’idée de perdre prise et de tomber m’en dissuada. Parvenu en haut, l’arrondi commença à s’incurver. J’inspirai profondément, pris mon élan et frappai la surface de toutes mes forces pour y planter le croc. Après un essai infructueux, agacé à la pensée de ce qu’aurait dit Holmes en me voyant dans pareille posture sans avoir pris la peine d’analyser proprement la situation avant de grimper, je cognai si fort que le petit piolet mordit la pierre. L’effort me fit glisser et perdre l’appui déjà instable de mes pieds. Pendu au manche de ma canne, mes gants de peau mouillés fragilisant encore ma prise, je fus envahi par une suée glaciale. Bandant tous mes muscles, évitant de penser à la douleur lancinante qui me remontait dans la jambe — souvenir d’une blessure de guerre — je m’arc-boutai et me hissai à la force des bras. Heureusement, je parvins au sommet où mon poing se referma instinctivement sur une longue excroissance minérale que je pris pour une stalagmite providentielle. Je m’y agrippai d’un bras, tirai tout en maintenant ma pression de l’autre sur le piolet… Un craquement retentit : la roche se fendait là où le croc était planté ; une faille commença à courir le long du rocher, s’étoilant autour de la pointe de métal. Dans ma main, le tronc minéral cédait aussi…Un dernier coup de reins avant d’être précipité vers le cadavre de Moriarty, et je pus me reposer, à plat dos, sur le « pont » de la « nef ».
Un long soupir d’épuisement soulagea ma carcasse bedonnante. J’en aurais pleuré d’aise, oubliant les raisons qui m’avaient conduit ici, si un sentiment bizarre n’était pas venu prendre le dessus. Levant le bras, j’examinai ce que je tenais à la main : saillant de la stalagmite brisée, un os. Long et étroit, très pâle et ligneux. Je me souvins du crâne et me relevai pour examiner l’endroit.
Alors que je découvrais des restes de squelettes saillant çà et là de la masse rocheuse, je fus frappé par la clarté qui émanait du lieu quand il aurait dû, sans la lanterne, être plongé dans les ténèbres. La roche luisait, sous mes pieds. En fait, c’était ce qu’il y avait sous le manteau minéral qui produisait cette luminescence diffuse. C’était pâle et verdâtre, mais les rais qui jaillissaient des fissures causées par le piolet étaient presque aveuglants, éclairant la chambre minière comme en plein jour à mesure que la gangue continuait de s’étoiler ; Plus je me déplaçais, plus le phénomène s’accentuait. Je m’immobilisai, comme un patineur sur un lac gelé dont la glace s’avérait soudain trop fine…
Inondé de lumière, frappé par les ossements que cette dernière continuait de dévoiler et qui n’avaient rien d’humain — même primitif — je me mis à claquer des dents. Un grand bruit emplit la salle : un pan entier de la couche qui enveloppait la chose lumineuse et que j’avais pris pour un grand amas rocheux, venait de s’écrouler, libérant les flancs de la « nef » : lisses comme de la peau, métalliques… Mais le poids qui venait de chuter ébranla la caverne jusqu’à la voûte, et quelques blocs se détachèrent et vinrent percuter ce qui ressemblait définitivement à un immense cigare d’acier enchâssé dans une gangue minérale.
« Ce n’est pas le moment de traîner » me sermonnai-je en avisant une plateforme naturelle, à un mètre cinquante à peine du bord, saillant des parois de la chambre. Avant de sauter, je ne pus m’empêcher de me pencher pour toucher l’objet en train de se libérer des sédiments. C’était chaud et ça luisait. Au dernier moment, je retins mon geste. Je me souvenais avoir lu un article sur les travaux d’un français, Edmond Becquerel. Cela concernait les propriétés magnétiques des minéraux et les phénomènes de phosphorescence. Je repensai à ma bonne vieille boussole. Le journal évoquait ces recherches déjà anciennes parce que le fils de ce savant avait déclaré à l’Académie des Sciences dont il était l’un des membres éminents, qu’il étudiait les relations entre les rayons-X et la fluorescence des sels d’uranium . C’était peu de temps avant sa disparition, et les traits émaciés de Holmes avaient eu cette expression indescriptible que je connaissais si bien. Son regard enfiévré avait interrompu ma lecture et il avait déclaré, péremptoire : « Ces physiciens mangeurs de grenouilles devraient faire attention à ce qu’ils touchent ». Alors qu’un nouveau pan de la gangue s’effritait et que des blocs énormes venaient se fracasser sur le sol, recouvrant les restes de l’Araignée, je pris mon élan et sautai sur la corniche. Le dos plaqué contre la paroi, je regardai de nouveau :
Un rocher se détacha de la voûte et tomba sur le grand cigare luminescent qu’il déchira en son milieu. Les feux se firent encore plus intenses, crachés par cette brèche douloureuse qui s’agrandit au point de laisser entrevoir le noyau — Je ne trouve pas d’autre terme — à l’origine de cette furie verte. Au contact de l’air glacé et pauvre de la mine, « cela » se mit à palpiter, et à diminuer.


Alors que d’autres blocs grêlaient encore l’étrange artefact, je m’attardai. Au lieu d’entamer une retraite vers l’un des tunnels qui s’ouvraient non loin de lui, exhalant un souffle évoquant une sortie à l’air libre, je restai pétrifié par cette vision titanesque et pathétique. La clarté surnaturelle s’était presque éteinte. Elle était tout juste suffisante pour que j’aperçoive deux silhouettes momifiées, assises sur ce qui semblait être des trônes à haut dossier, autour du « noyau » faiblissant. L’effondrement de la voûte acheva d’ensevelir à jamais cette vaine découverte, me laissant hébété. Il me fallut quelques secondes pour me décider à quitter ces lieux d’oubli en m’engouffrant dans le tunnel, obsédé par l’image de ces cadavres intemporels qui ne livreraient jamais leur secret : leur crâne était énorme, inhumain, et, malgré la dessiccation, leur peau était grisâtre. Ils avaient des orbites anormalement grands, et l’un d’eux les tournaient vers moi au moment où la mine recouvrait d’une nouvelle chappe de roche et de terre la mystérieuse nef de métal.



Il eût fallu un cerveau tel que celui de Holmes pour décoder méthodiquement le mystère de la présence de cette dernière ici, de sa nature et de son âge. Alors que je parvenais enfin à sortir, au prix de plusieurs heures d’errance dans le noir, m’écorchant et me cognant, perdu dans mes pensées, ivre d’angoisse et de questions restées sans réponse, je résolus d’inscrire tout cela sur un carnet, dans les moindres détails, comme je le faisais d’ordinaire. Je le rangerais dans ma malle, à Londres, avec celui de Moriarty. Avec tous ceux qui attendaient que le monde fût prêt. Un jour, peut-être, serais-je capable de relire ces notes à tête reposée, de faire des recherches, d’en parler à quelqu’un qui ne me prendrait pas pour un vieux fou et qui pourrait m’aider à comprendre ce qui se trouvait enfoui sous des tonnes de rochers, dans la mine oubliée de Reichenbach. »


John H. Watson, Londres, 1901