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OUTREMONDE, l'avis d'Esau CairnL’accroche du roman est très intrigante, malgré un scénario on ne peut plus classique pour planter le décor. En effet si l’auteur se soumet à l’exercice imposé du cadre géographique, beaucoup de recul est pris avec les contraintes du genre. S’il faut bien imaginer des îles exotiques, situons les à l’est, appelons-les « Iles Levantines », mais laissons-les donc dériver à leur guise. Des contraintes certes, mais sans non plus limiter notre plaisir. La pirouette est plaisante et laisse augurer de bons moments.
Autant pour le lieu, présentons les protagonistes. Avec une belle mise en scène, qui ne verse pas dans l’épique, mais plutôt dans la tension sauvage et barbare. Une tension qui atteint des sommets, notamment à la fin du second chapitre, bien servie par un souffle aride et une écriture sèche qui étreint le lecteur. Celui-ci attend l’arrivée du héros avec impatience - l’apparition d’un Francis Xavier Gordon ou d’un certain Cimmérien ne surprendrait pas tant l’atmosphère est proche des meilleurs textes Howardiens. Le lecteur est prévenu ; âme sensible passe ton chemin, Claire Panier Alix a d’autres Trolls à démembrer, l’influence est revendiquée. Et pourtant …
Arrive donc le héros : Duncan d’Irah. De noble lignée ce Duncan ! Il tire son essence d’un rien d’Aragorn (c’est un sacré compliment, vous ne trouvez pas ?), d’un héritier caché d’Arthur Pendragon, avec un soupçon de caractère indomptable qui pointe sous l’armure, et son destin est forgé par les plus funestes prédictions contre les royaumes civilisés. Notons que la notion de civilisation est ici ambiguë et l’ombre de Xuthal plane, pardon, je m’égare au pied d’un Colosse Noir, sous les portes de la Citadelle Ecarlate, Thugra Khotan m’a ensorcelé, et Khosatral, le Diable d’Airain, me poursuit. Ducan donc, dont le destin, car les Dieux de Jade lui ont accordé la malédiction de vivre dans une époque de fureur, commence où s’arrête parfois celui des héros d’autres sagas. C’est en roi et non en simple mercenaire qu’il doit combattre la menace surgie du fonds des âges archaïques de Trolls lycanthropes monstrueux, tout en déjouant les sombres complots du clergé omnipotent de Nicée. Ne soulevons pas trop le voile du mystère, passons donc sous silence le charismatique Sail, l’Homme-Dieu. « Et l’homme créa un roi » aurait-on pu graver sur son monument funéraire.
Claire Panier-Alix prend un malin plaisir, et nous une délectation immense, à nous surprendre sans cesse, brouillant les pistes et semant son intrigue de rebondissements à contre-pied des standards, nous captivant toujours plus, nous transportant au plus profond d’un récit envoûtant aux péripéties inattendues et pleinement assumées, avec une vigueur et une fougue qui nous tient haletant d’un chapitre à l’autre. Le récit tout en fureur épique est ponctué par de belles envolées lyriques, rares, mais qui s’apprécient d’autant plus. Qu’il me suffise d’ajouter que cette fresque enthousiasmante recèle quelques pépites ciselées dans l’action la plus pure et les cœurs hardis prendront d’assaut les étals des libraires.
Ce roman s’apprivoise peu à peu, révélant paradoxalement assez pudiquement qu’il est beaucoup plus complexe qu’initialement supposé. Les influences multiples décelées dans les premières (centaines de) pages sont surmontées pour produire une tonalité atypique, farouche et impérieuse. Le roman trouve naturellement un second souffle dans une peinture humaine que les auteurs classiques les plus exigeants n’eussent pas reniée. Nul doute que la voix de Claire Panier-Alix ne puisse résonner à l’unisson de ses consoeurs, tant son écriture et son art du récit sont mâles, et sa connaissance des tréfonds de l’âme, intime Les promesses contenues dans ce roman sont fort alléchantes, et si la personnalité de l’auteur est déjà très affirmée, je pense pourtant que nous sommes néanmoins loin d’avoir tout lu.
Un regret, un seul : ne pas avoir lu ce roman plus tôt.