18 novembre 2006

La Condition littéraire : la double vie des écrivains


l'association ADA qui regroupe les auteurs écrivains et traducteurs du languedoc roussillon a organisé un débat sur la condition des écrivains, je vous passe le compte rendu. On essaie d'avancer pour améliorer le statut des auteurs. (Viviane Etrivert Gauthier, vice présidente d'ADA)


La Condition littéraire : la double vie des écrivains, conférence et débat sur le livre de Bernard Lahire, organisés par la librairie Sauramps et l'association Autour des auteurs

Montpellier le 9 novembre 2006˜™

En l'absence de Bernard Lahire, empêché par la grève SNCF, ce sont des membres de l'association ADA (écrivains et traducteurs du Languedoc Roussillon) qui ont présenté au public présent une synthèse du livre, et qui l'ont commenté.

La librairie Sauramps, était représentée par Dominique Perrin, ADA par les écrivains Joëlle Wintrebert, présidente de l'association, Michel Crespy, maître de conférences de sociologie à l'Université Montpellier III, Francis Zamponi, journaliste et formateur au CFPJ (Centre de perfectionnement des journalistes), Antoine Blanchemain, agronome retraité, ainsi que par Edith Noublanche et par Florence Ludi (chargées de mission ADA).

I. Présentation du livre par Edith Noublanche

Bernard Lahire est un sociologue spécialisé dans le domaine de la culture. Son étude a été financée par le Conseil Régional Rhône-Alpes et par la DRAC Rhône-Alpes. L'ARALD (Agence Rhône-Alpes pour le livre et la documentation) a soutenu la recherche et apporté une aide indispensable. L'enquête est justifiée par le constat suivant lequel les auteurs ne peuvent pas vivre du produit de leurs écrits et doivent recourir à des activités complémentaires pour avoir des revenus suffisants. Cette situation les expose à la précarité matérielle. L'étude comprend une analyse et des portraits.

Le questionnaire a été envoyé à plus de 800 auteurs de la Région Rhône Alpes ayant publié au moins un ouvrage. 503 questionnaires ont été exploités. 40 auteurs ont été longuement interviewés, les demandes de bourses de création, régionales et nationales, ainsi que d'aides financières à la Société des Gens de Lettres ont également été examinées.

Bernard Lahire trace un portrait des écrivains :

Socialement, ce sont très majoritairement des hommes (68%), et la part des femmes s'amenuise encore en ce qui concerne la reconnaissance sociale (10% des grands prix littéraires, 35% seulement du prix Fémina) et l'inscription professionnelle (AGESSA).

Les écrivains sont avant tout issus des classes supérieures et moyennes, à fort capital culturel, l'origine sociale est primordiale malgré les effets correcteurs de l'école. C'est une population relativement âgée, très fortement diplômée.

Ils ont très majoritairement un second métier pour assurer leur existence matérielle. Ils sont par ordre de fréquence enseignants puis journalistes, cadres supérieurs, professions libérales supérieures. La part des revenus de l'écriture est faible. 45% des auteurs interrogés n'avaient touché aucun droit d'auteur l'année précédente, 9% seulement en avaient tiré un revenu supérieur à 10 000 euros.

Ils éprouvent à cet égard des sentiments ambivalents.

Ce second métier assoit leur liberté, leur équilibre social et psychologique, mais en contrepartie, il peut conduire à une moindre qualité du travail de création, soit en raison du temps qui est retiré à celui-ci, soit en raison d'une pression extérieure qui oblige parfois à travailler plus vite (cas des auteurs qui sont poussés par l'éditeur à publier au moins une fois par an). Il peut être source d'inspiration, mais il n'est pas forcément considéré comme une source de bien-être.

Bernard Lahire présente l'écriture comme une profession spécifique, elle ne demande ni formation, ni diplôme, il n'y a pas de carrière au sens propre, car chaque nouveau livre remet en cause le trajet littéraire, et les changements d'éditeurs sont fréquents. C'est un plaisir solitaire et passionnel. Il ne correspond pas vraiment à la notion de profession.

Comme source de revenus s'ajoutant au second métier, l'exercice de l'écriture dépend du marché et du soutien de la puissance publique. Dans la chaîne du livre, l'auteur est le maillon faible et vit un paradoxe : plus il est « professionnel », c'est-à-dire rigoureux dans sa poursuite d'une qualité littéraire, moins il est « professionnel », c'est-à-dire rentable. La production à marche forcée de livres grand public est difficilement compatible avec la démarche créative solitaire.

Les auteurs qui sont « professionnels » au sens économique du terme exercent souvent pour assurer leur subsistance des activités paralittéraires, notamment dans des salons du livre ou des écoles. Ils ont alors le sentiment de devenir pédagogues, thérapeutes, animateurs, commerciaux de leur éditeur, et ce rôle qu'ils doivent jouer, quelquefois bien éloigné de leur travail d'écrivain, est souvent mal vécu.

Les écrivains sans second métier sont l'exception : ils sont retraités, chômeurs, RMIstes, ou s'appuient sur les revenus d'un conjoint. Seuls 300 écrivains vivraient de leur plume en France, à en juger par les chiffres de l'AGESSA, sécurité sociale des artistes-auteurs.[1] On parle de la précarité des gens du spectacle mais leur statut matériel est beaucoup plus favorable que celui des écrivains. La retraite, des problèmes de santé ou familiaux, et les auteurs basculent dans les difficultés et dépendent de l'aide publique.

L'écrivain est attaché à son indépendance, il use d'une sémantique religieuse pour décrire son activité, il crée des mondes, c'est un démiurge, mais il doit se battre pour réserver le temps nécessaire à un écrit (et à un écrit de qualité), ce problème se posant avec encore plus d'acuité pour les femmes. L'écriture en cours est la préoccupation permanente de l'écrivain. La précarité matérielle, le temps qu'il est possible de réserver à l'écrit influent sur la forme et le contenu de l'écrit.

En conclusion, Lahire affirme qu'il est essentiel que l'Etat soutienne les écrivains, ces « témoins de leur temps », car la diversité des idées et de leur expression est « un moyen, parmi d'autres, de former les citoyens. »

Michel Crespy : Commentaires sur l'étude

1. B. Lahire a choisi de ne pas distinguer auteurs autoédités et auteurs édités à compte d'éditeur. Or, ce sont des catégories très différentes. Toutefois son analyse correspond très largement au vécu des écrivains. Il y aurait probablement eu des résultats différents si l'enquête avait porté sur la région parisienne qui concentre les grands éditeurs, les grands médias, les prix littéraires. Les écrivains qui ont un second métier dans le milieu de l'édition y sont bien plus nombreux (lecteurs de manuscrits, par exemple).

2. B. Lahire a choisi de ne pas montrer l'influence sur le contenu de l'écriture des conditions de vie de l'écrivain, de la précarité.

3. L'écrivain est réputé pour son individualisme : il est en perpétuelle concurrence avec les autres écrivains, ce manque de solidarité est un frein à l'établissement d'un statut collectif plus avantageux.

4. Le statut de l'écrivain est en passe d'être profondément modifié, sous l'influence en particulier de l'évolution technologique. Le livre numérique se développe même si, quand le titre est un succès, il finit toujours par être imprimé.

5. Les pratiques changent : un éditeur peut avant d'avoir fait paraître le livre en français avoir vendu les droits d'adaptation cinématographique, avoir fait traduire le livre en anglais, il y a là aussi mondialisation. La poésie est à l'extrême opposé de cette politique de rentabilité. Le marché est minimal et le rendement financier inexistant.

II. Echanges avec le public

Joëlle Wintrebert relève que l'association ADA est justement une manifestation de cette solidarité entre auteurs, avec une volonté des écrivains de se regrouper pour défendre leur statut, un site Web qui permet leur visibilité sur Internet et qui fonctionne pour les divers acteurs culturels de la région et d'ailleurs comme un centre de ressources. Autre manifestation de solidarité, La Charte des auteurs pour la jeunesse, créée comme ADA (mais il y a 20 ans !) avec une poignée d'écrivains, riche aujourd'hui de 800 adhérents, et qui a permis, depuis sa création, des avancées importantes pour les auteurs.

Francis Zamponi revient sur l'idée de la professionnalisation des écrivains. En tant que journaliste et écrivain, aucun de ces deux métiers ne requérant véritablement de diplôme ni de formation, il lui paraît difficile de dire si ces occupations sont des « professions » et laquelle l'emporte. La précarité des écrivains est ancienne, déjà évoquée par Jules Renard, qui vivait de l'adaptation au théâtre de ses ouvres. Et c'est parce qu'ils étaient rentiers que les frères Goncourt jouissaient d'une parfaite liberté.

Joëlle Wintrebert a été journaliste, directrice littéraire, rédactrice en chef. et s'est arrêtée pour trouver le temps d'écrire. Elle ne trouve pas si évidente la distinction que fait B. Lahire entre « écrivains de genre » qui seraient censés se plier aux lois du marché et gagneraient correctement leur vie, et « écrivains littéraires ». Certains des premiers sont en quête de nouvelles formes, et très attachés à la valeur littéraire de leurs écrits. Et ils ont eux aussi de grandes difficultés à vivre de leur plume. Francis Zamponi confirme la précarité dans laquelle se trouvent les auteurs de noir. Joëlle fait remarquer que le roman de Francis, Mon Colonel, sera peut-être bientôt un best-seller puisque son adaptation cinématographique par Costa Gavras sort sur nos écrans !

Question formation, le talent ne s'apprend pas, il est individuel. La grande masse de la littérature reste confidentielle et ne représente pas un marché important, malgré 56.000 livres par an qui paraissent. Une vente de 1.500 exemplaires représente déjà un score honorable.

La définition même de la littérature est brouillée par la distribution en grande surface qui en fait un objet banal. Antoine Blanchemain cite Michel Del Castillo qui affirme que le livre est une marchandise comme le papier hygiénique, il y a désacralisation. Jean-Claude Dana cite un bon mot de Sacha Guitry à un écrivain qui lui avait envoyé un manuscrit : « Comment l'avez vous trouvé ? Je l'ai parcouru d'un derrière distrait. »

Les grands prix littéraires sont des machines à « faire des coups » pour vendre, le jeu est biaisé, si l'ouvre est mal écrite, elle est retravaillée par des nègres. Remarque du public : ce n'est plus un travail en solitaire.

Antoine Blanchemain appelle l'attention sur la nécessité d'améliorer le statut des écrivains qui interviennent dans les domaines paralittéraires pour les sortir de la précarité : les bourses de création ou de résidence sont à privilégier, les interventions scolaires ou en bibliothèques peuvent venir en appoint. Á ce propos, le rôle des bibliothécaires, des organisateurs de salon, des documentalistes est primordial. Ces différents acteurs culturels devraient être mieux sensibilisés aux problèmes des écrivains.

Sur le paradoxe de l'auteur exigeant professionnellement parlant et mal adapté au marché, Joëlle Wintrebert signale qu'il est réducteur d'opposer succès commercial et auteur maudit. Certains auteurs comme Christine Angot ou Michel Houellebecq revendiquent une vraie démarche littéraire, et garder une écriture personnelle ne les a pas empêchés d'avoir beaucoup de lecteurs.

Les éditeurs peuvent publier des écrivains difficiles ou sans renommée grâce à des auteurs à succès comme Hervé Villard, qui se sont fait un nom par ailleurs.

Dans la salle, notre adhérente Marie Rivet demande s'il ne serait pas possible de favoriser la création locale en consacrant par exemple une salle de médiathèque aux écrivains locaux ?

Gilles Gudin de Vallerin, directeur de la Médiathèque centrale d'agglomération Emile Zola, explique qu'il n'est pas favorable à l'inscription des auteurs dans un régionalisme, forcément réducteur.

Joëlle Wintrebert relève que donner une tribune aux auteurs est l'un des chevaux de bataille de l'association ADA, et que le site Internet a cette vocation-là.

Antoine Blanchemain et Joëlle Wintrebert disent qu'il est nécessaire que les auteurs soient mieux traités par les organisateurs d'animations autour du Livre. Il est encore trop souvent estimé que le travail de représentation d'un écrivain sur un salon, dans une école ou une bibliothèque devrait être gratuit.

Il n'est pas jusqu'au fameux droit de prêt en lecture publique (1% du prix du livre en librairie) qui n'ait fait l'objet d'une levée de bouclier (parfois des auteurs eux-mêmes, sans doute mal informés) alors qu'il était nécessaire et pratiqué dans les pays scandinaves depuis la fin des années 40, partout ailleurs dans le monde anglo-saxon depuis les années 70 et 80.[2]

Les institutions publiques agissent autant qu'elles peuvent, mais l'argent disponible est limité. Les bibliothèques sont des sanctuaires pour la diversité du livre, rappelle à juste titre Gilles Gudin de Vallerin. Il faut doser entre les ouvrages médiatisés et les autres, mais on y trouve les ouvres exigeantes ou difficiles qui disparaissent des librairies sitôt sorties, faute de médiatisation suffisante.

En conclusion, Joëlle Wintrebert appelle les auteurs édités à compte d'éditeur à rejoindre l 'association pour travailler à l'amélioration du statut des auteurs.

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[1] (En fait, les chiffres montrent que 1770 écrivains sont affiliés, c'est-à-dire qu'ils dépendent de l'AGESSA pour leur sécurité sociale, et donc que leur source de revenus principale est issue de leurs droits d'auteur... Ont-ils de quoi « vivre » pour autant ? Note de ADA)

[2] La loi du 18 juin 2003 instituant le droit de prêt français, outre les sommes à répartir à parité entre les auteurs et leurs éditeurs, a donné naissance au premier régime de retraite des écrivains et des traducteurs, seule profession artistique qui n'en disposait pas jusque-là. Il devrait favoriser la création éditoriale et la diversité culturelle, comme il favorise les petites librairies jusque-là écartées des marchés publics.

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