cadeau du jour : le texte de la nouvelle écrite à l'occasion de la dernière convention nationale de science-fiction, cet été (publication : voir le post du 17 septembre 06)
un petit délire inattendu...
« UN CIGARE, WATSON ? »
de Claire Panier-Alix © 2006
« J’ai longtemps hésité à relater l’aventure qui m’arriva à Reichenbach. Je portais le deuil de mon cher ami Sherlock Holmes depuis un an , et toute l’Angleterre reconnaissait le noble sacrifice qu’il avait fait de sa si précieuse existence en la débarrassant de l’Araignée, l’infâme professeur Moriarty. En vérité, je soupçonnais que c’étaient ses aventures qu’elle pleurait le plus. À peine arrivé en Suisse pour me recueillir au-dessus du gouffre, je me retrouvai entouré par une foule de touristes venus visiter les lieux grandioses qui s’étaient refermés à jamais sur les dépouilles des deux génies.
En mai 1892, le funiculaire qui dessert les tristement fameuses chutes de Reichenbach n’existait pas encore, et le pèlerinage passait par une lente et coriace ascension. Contrarié par la présence de tous ces badauds venus exhiber leur coûteux équipement (par ailleurs inadéquat) devant des guides de fortune, je tâchai de m’écarter du groupe, pensif et mélancolique. Le site était pénétré de la scène atroce à laquelle j’avais assisté, impuissant. Tout me revenait, à mesure que je me rapprochais des chutes, étourdi par son vacarme. Bientôt, la présence de Holmes se fit insistante, en moi. Il me semblait l’entendre, par bribes, encore pris dans ses tourments et ses fièvres géniales. Nous avions vécu tant d’aventures, ensemble ! Ah ! il me manquait, plus rien n’avait de saveur depuis sa disparition, et mes précieux carnets avaient été relégués au fond de ma malle, tandis que j’avais repris la morne existence d’un petit médecin de quartier. Mais mon épouse, Mary, était morte à son tour, et je n’étais plus qu’un homme vieillissant, veuf, seul avec ses souvenirs. Au moment de ce pèlerinage en Suisse, désorienté et doublement malheureux, je venais de céder ma clientèle au jeune docteur Verner.
Les vapeurs glacées émanant de la vertigineuse chute d’eau me ramenèrent à la réalité, et je réalisai que, perdu dans mes pensées, je m’étais égaré. J’appelai, les poumons en feu, les mains en porte-voix, mais je dus me résoudre : mes cris étaient avalés par le mugissement de la cascade. Voulant m’en éloigner, j’empruntai un chemin plus escarpé encore, espérant rejoindre les autres là-haut, sur la plateforme d’observation. Hélas ! les vapeurs d’eaux se firent de plus en plus denses, et le jeu du soleil sur les gouttelettes en suspension m’aveugla, faisant mirage. Déconcentré par ce que je crus être une silhouette humaine et qui ne devait être qu’un éperon rocheux ou un arbre, je levai la main, glissai sur la roche boueuse et tombai… Pour me retrouver au fond d’une combe cachée par la végétation et par l’épais brouillard émanant de la cascade.
Là, il n’y avait que ténèbres.
*
N’y voyant goutte, j’avançai au jugé, tâtonnant devant moi avec ma canne-piolet. J’avais toujours ma bonne vieille boussole d’officier, mais l’aiguille s’affolait à la lueur de mon briquet. Ce fut donc par hasard que je me retrouvai à l’entrée d’un tunnel. « Sans doute l’une de ces anciennes mines médiévales qui grignotent les imposantes montagnes helvètes, abandonnées et comblées lors de la Grande Peste Noire », me dis-je. Poussé par la curiosité et par le souvenir de mon ami disparu qui n’aurait pas manqué pareille occasion de se documenter, je m’y engouffrai.
Le boyau de pierre était plein d’échos. Parfois, on aurait dit des voix, des bruits de ressacs, des plaintes, des chants… Sur les murs étaient encore accrochées des lanternes de fer. J’essayai d’enflammer la première en vain, puis une autre, et enfin la lumière jaillit. Les sécrétions minérales s’emparèrent des restes de poutres de bois cloutées de fer, formant des arches et des colonnes grotesques, brillantes du ruissellement d’eau brune qui suintait sur les vestiges miniers affleurant encore à la surface de pierre. Quand je me retournai, je ne vis que la gueule de la caverne, donnant sur la combe enténébrée et le brouhaha de la cascade. Je savais que ce n’était pas raisonnable, mais je me laissai tenter et m’enfonçai encore un peu dans la mine…
*
Je trébuchai bientôt sur les montants de bois durcis par une couche de poussière pâle de scintillante. Je reconnus les restes des petits lits de sangles utilisés jadis pour descendre les ouvriers au fond des puisards, attachés autour de la grande corde qui servait aussi à remonter le sel. Je me rappelai avoir lu quelque chose à ce sujet concernant les mines salières d’Autriche et de Pologne, mais j’ignorai que celle de Reichenbach en fût une. Plus loin, au fur et à mesure que je m’enfonçais dans le boyau, je découvris plusieurs chapelles : l’autel, le crucifix, les statues des saints, tout y était, creusé dans le sel gemme. Saisi d’un pieux effroi, je fus pénétré par l’ambiance sacrée des lieux. La mort, sanctifiée, était partout, et le temps, comme dans un sépulcre que je profanai, était suspendu.
Je finis par déboucher sur grande chambre caverneuse trouée par une multitude de tunnels abandonnés, à en juger par la toute petite portion que ma lanterne parvenait à révéler. Je levai cette dernière plus haut, étouffai un cri de terreur, tremblant comme une feuille, et m’empressai de la baisser.
Mes regards venaient de croiser celui d’un homme émacié, affalé contre un pilier minéral, sa chevelure, ses sourcils et ses cils recouverts d’un givre argenté.
Je pris quelques secondes avant de trouver le courage d’éclairer de nouveau ce coin de la salle, inquiet à la pensée d’avoir trouvé la dépouille de mon ami. Finalement, je surmontai ma peur et dévisageai le corps. Amaigri par la dessiccation, il restait reconnaissable. Et ô combien ! ces traits étaient ancrés en moi aussi sûrement que les abominations qui lui étaient attachées : imberbe, pâle, ascétique de visage et de corps, les yeux déjà naturellement caves à présent complètement avalés par les orbites, cette figure altière et pleine de cruauté se projetait en avant comme celle du serpent qu’il était de son vivant.
Le professeur James Moriarty.
Fidèle aux préceptes holmésiens et à mes réflexes de médecin, je surmontai ma répulsion et ma légitime angoisse de retrouver, plus loin, la dépouille de Sherlock, et l’examinai. Je constatai qu’il avait eu les jambes brisées, sans doute par sa chute. Il avait dû souffrir le martyre en se traînant jusqu’ici. Dans son poing crispé, un stylo dont la plume d’or brillait encore malgré les taches d’encre séchée et un début de corrosion. Du coin de l’œil, j’aperçus un carnet, qui avait dû choir sur le sol lorsque le corps s’était enfin affaissé sur le côté, au moment de l’ultime soupir.
Je vous épargnerai, Lecteurs, les derniers mots d’un génie du mal concernant une apparition dantesque, après les prévisibles divagations haineuses concernant son ennemi juré auquel il était certain d’avoir survécu : Un navire pétrifié, intact, enserré dans des concrétions comme si le ventre de la montagne s’était refermé sur lui pour interrompre sa route intemporelle. Les voiles cristallisées, piquetées de diamants et d’or, pendaient encore aux cargues d’un autre âge, d’un âge inconnu. Dans son agonie, l’infâme professeur s’était imaginé, emporté par le vaisseau fantomatique, partant hanter encore une fois les nuits londoniennes. Tous ces joyaux, dans les voilures : de quoi remonter son organisation. Il s’était pris pour ces grandes figures qui sont appelées à revenir pour s’emparer du Monde : Charlemagne, Arthur, le Roi du Monde… L’équipage pétrifié qu’il croyait deviner dans les jeux d’ombres, qui accoudé au bastingage de pierre, qui pendu aux vergues, qui tenant la barre…
Et Holmes, Holmes, dont il s’était débarrassé.
Après une lecture rendue difficile par le manque de lumière, je jetai un coup d’œil au pathétique cadavre, mais ma pitié ne dura qu’un instant, à cause de ces derniers mots qui me rappelaient l’absence de mon cher ami. En me relevant, je levai ma lanterne afin de retrouver le boyau par lequel j’étais arrivé. Stupéfait, je découvris à mon tour la grande nef de pierre…
*
Je fus d’abord fasciné, mais des phénomènes étranges s’emparèrent de la mine, ou plutôt de moi : bruits, souffles, odeurs, visions… J’eus l’impression de voir la grande nef de pierre s’ébranler. Cédant à la panique, certain d’être poursuivi par une horde de spectres, je commençai à courir, me heurtant aux énormes fleurs minérales, aux stalagmites obscènes, aux parois glacées toutes dégoulinantes d’une eau ferrugineuse. Finalement, épuisé, je me raccrochai au souvenir de Holmes. Je m’adossai pour reprendre mon souffle et réfléchis : Comment aurait réagi Sherlock ? En deux temps trois mouvements, la panique reflua. Mon cartésianisme de médecin me conduisit à admettre que ces visions n’étaient que des mirages dus au confinement, à l’obscurité, aux jeux de lumière de la lanterne tremblotante sur les concrétions, et au choc suscité par ma morbide découverte.
Après un dernier regard au cadavre de Moriarty, je me demandai comment un cerveau pareil, même diminué par la folie et l’agonie, avait pu prendre l’énorme bloc rocheux pour un véritable navire. Comment ne s’était-il pas posé la question : que ferait un bateau dans une mine, dans le ventre d’une montagne, dans une caverne seulement desservie par un dédale de couloirs taillés de la main de l’homme bien après que la nature l’ait pétrifié, et de toute manière à peine assez grands pour qu’un mineur penché, poussant son wagonnet, pût y passer ?
Rassuré et satisfait par mon raisonnement, je me tournai une dernière fois vers la nef de pierre. Elle était horrible, rongée par les filaments minérals, suintante, sans forme distincte sinon cette silhouette évocatrice et troublante. Comme les images qu’on peut s’amuser à deviner dans les nuages, elle aurait effectivement pu passer pour un navire lapidifié, mais cela aurait aussi pu être quelque monstre de légende, tapi là depuis si longtemps que la montagne l’aurait fait sienne. Cet amas aurait pu être n’importe quoi, selon les jeux de lumière et d’ombres, selon l’angle, selon le degré de délire du malheureux qui le contemplait.
Je m’apprêtai à repartir quand un bruit me fit sursauter. Effrayées par la lanterne que je ne cessai d’agiter depuis mon arrivée, des centaines de chauve-souris s’étaient arrachées aux mâts de pierre et aux vergues minérales. L’une d’elles frôla de trop près un bloc rocheux qui se détacha et tomba de la nef — laquelle, vue de l’angle où je me trouvais à présent, ressemblait davantage à une énorme courge hérissée de verrucosités. Cela roula jusqu’au cadavre de Moriarty qui s’affaissa encore davantage et tourna vers moi sa face grimaçante. Le poing qui tenait encore le stylo d’or avait glissé, et le bras, raide, semblait à présent reposer, protecteur, sur une masse pâle qui appela les feux de ma lampe.
Une suée glacée s’empara de ma nuque. Tous mes poils se hérissèrent : un crâne, libéré de sa gangue de pierre par la chute, me fixait de ses immenses orbites creuses…
*
Bien évidemment, ma première, pensée, pleine d’effroi, fut : « Seigneur ! Holmes… », immédiatement suivie par une montée de bile à la vue de ce crâne généreux profané par l’abominable cadavre de l’Archi Criminel. La fureur s’empara de moi, et je me ruai, sans réfléchir, vers le Napoléon du Mal pour lui arracher la précieuse relique, lorsque la lanterne précisa les choses, stoppant net mon brave élan : le crâne était énorme, difforme quoique intact. Sherlock Holmes avait une boîte crânienne remarquable, encore qu’en rien comparable à celle de l’immonde Araignée, mais cette pastèque-là, c’était bien différent !
Mon imagination, rendue folle par la situation et l’étrangeté des lieux, songea à quelque ancêtre de l’Homme et, levant les yeux vers le grand amas rocheux qui prenait tantôt l’aspect d’un fin navire oblong, tantôt celui d’un immense cigare enfermé dans une gangue rocheuse, je murmurai : « une nécropole préhistorique ? ».
Troublé, piqué de curiosité, le docteur que j’étais étudia attentivement le crâne. Je n’avais jamais rien vu de pareil, mais je connaissais surtout la morphologie et les pathologies de l’Homme moderne. Je considérai d’un autre œil l’amas rocheux : masse oblongue, élancée, sculptée par des centaines de millénaires de sécrétions minérales… Il fallait que je voie cela de plus près. Se pouvait-il que ce crâne hydrocéphale fût aussi vieux, que ce fût celui d’un Homme primitif, d’un chaînon inconnu ? Quelle découverte ! Oubliant le cadavre momifié de Moriarty, je me lançai dans l’escalade…..
*
Ce ne fut pas facile. Le ruissellement avait lissé et arrondi la surface inégale ; Les rares aspérités que mes mains et mes chaussures de montagne, hérissées de courtes pointes, rencontraient, étaient glissantes et dures. Toutefois, la curiosité se fit plus forte que tout, et le rocher n’était pas très haut : la montée de la vallée jusqu’aux chutes du Reichenbach n’avait pas été une partie de plaisir, et du reste, je restai assez athlétique malgré mon embonpoint naissant. Ma canne-piolet n’était guère pratique, et je songeai un moment à en raccourcir le manche en la fracassant contre la roche. L’idée de perdre prise et de tomber m’en dissuada. Parvenu en haut, l’arrondi commença à s’incurver. J’inspirai profondément, pris mon élan et frappai la surface de toutes mes forces pour y planter le croc. Après un essai infructueux, agacé à la pensée de ce qu’aurait dit Holmes en me voyant dans pareille posture sans avoir pris la peine d’analyser proprement la situation avant de grimper, je cognai si fort que le petit piolet mordit la pierre. L’effort me fit glisser et perdre l’appui déjà instable de mes pieds. Pendu au manche de ma canne, mes gants de peau mouillés fragilisant encore ma prise, je fus envahi par une suée glaciale. Bandant tous mes muscles, évitant de penser à la douleur lancinante qui me remontait dans la jambe — souvenir d’une blessure de guerre — je m’arc-boutai et me hissai à la force des bras. Heureusement, je parvins au sommet où mon poing se referma instinctivement sur une longue excroissance minérale que je pris pour une stalagmite providentielle. Je m’y agrippai d’un bras, tirai tout en maintenant ma pression de l’autre sur le piolet… Un craquement retentit : la roche se fendait là où le croc était planté ; une faille commença à courir le long du rocher, s’étoilant autour de la pointe de métal. Dans ma main, le tronc minéral cédait aussi…Un dernier coup de reins avant d’être précipité vers le cadavre de Moriarty, et je pus me reposer, à plat dos, sur le « pont » de la « nef ».
Un long soupir d’épuisement soulagea ma carcasse bedonnante. J’en aurais pleuré d’aise, oubliant les raisons qui m’avaient conduit ici, si un sentiment bizarre n’était pas venu prendre le dessus. Levant le bras, j’examinai ce que je tenais à la main : saillant de la stalagmite brisée, un os. Long et étroit, très pâle et ligneux. Je me souvins du crâne et me relevai pour examiner l’endroit.
Alors que je découvrais des restes de squelettes saillant çà et là de la masse rocheuse, je fus frappé par la clarté qui émanait du lieu quand il aurait dû, sans la lanterne, être plongé dans les ténèbres. La roche luisait, sous mes pieds. En fait, c’était ce qu’il y avait sous le manteau minéral qui produisait cette luminescence diffuse. C’était pâle et verdâtre, mais les rais qui jaillissaient des fissures causées par le piolet étaient presque aveuglants, éclairant la chambre minière comme en plein jour à mesure que la gangue continuait de s’étoiler ; Plus je me déplaçais, plus le phénomène s’accentuait. Je m’immobilisai, comme un patineur sur un lac gelé dont la glace s’avérait soudain trop fine…
Inondé de lumière, frappé par les ossements que cette dernière continuait de dévoiler et qui n’avaient rien d’humain — même primitif — je me mis à claquer des dents. Un grand bruit emplit la salle : un pan entier de la couche qui enveloppait la chose lumineuse et que j’avais pris pour un grand amas rocheux, venait de s’écrouler, libérant les flancs de la « nef » : lisses comme de la peau, métalliques… Mais le poids qui venait de chuter ébranla la caverne jusqu’à la voûte, et quelques blocs se détachèrent et vinrent percuter ce qui ressemblait définitivement à un immense cigare d’acier enchâssé dans une gangue minérale.
« Ce n’est pas le moment de traîner » me sermonnai-je en avisant une plateforme naturelle, à un mètre cinquante à peine du bord, saillant des parois de la chambre. Avant de sauter, je ne pus m’empêcher de me pencher pour toucher l’objet en train de se libérer des sédiments. C’était chaud et ça luisait. Au dernier moment, je retins mon geste. Je me souvenais avoir lu un article sur les travaux d’un français, Edmond Becquerel. Cela concernait les propriétés magnétiques des minéraux et les phénomènes de phosphorescence. Je repensai à ma bonne vieille boussole. Le journal évoquait ces recherches déjà anciennes parce que le fils de ce savant avait déclaré à l’Académie des Sciences dont il était l’un des membres éminents, qu’il étudiait les relations entre les rayons-X et la fluorescence des sels d’uranium . C’était peu de temps avant sa disparition, et les traits émaciés de Holmes avaient eu cette expression indescriptible que je connaissais si bien. Son regard enfiévré avait interrompu ma lecture et il avait déclaré, péremptoire : « Ces physiciens mangeurs de grenouilles devraient faire attention à ce qu’ils touchent ». Alors qu’un nouveau pan de la gangue s’effritait et que des blocs énormes venaient se fracasser sur le sol, recouvrant les restes de l’Araignée, je pris mon élan et sautai sur la corniche. Le dos plaqué contre la paroi, je regardai de nouveau :
Un rocher se détacha de la voûte et tomba sur le grand cigare luminescent qu’il déchira en son milieu. Les feux se firent encore plus intenses, crachés par cette brèche douloureuse qui s’agrandit au point de laisser entrevoir le noyau — Je ne trouve pas d’autre terme — à l’origine de cette furie verte. Au contact de l’air glacé et pauvre de la mine, « cela » se mit à palpiter, et à diminuer.
Alors que d’autres blocs grêlaient encore l’étrange artefact, je m’attardai. Au lieu d’entamer une retraite vers l’un des tunnels qui s’ouvraient non loin de lui, exhalant un souffle évoquant une sortie à l’air libre, je restai pétrifié par cette vision titanesque et pathétique. La clarté surnaturelle s’était presque éteinte. Elle était tout juste suffisante pour que j’aperçoive deux silhouettes momifiées, assises sur ce qui semblait être des trônes à haut dossier, autour du « noyau » faiblissant. L’effondrement de la voûte acheva d’ensevelir à jamais cette vaine découverte, me laissant hébété. Il me fallut quelques secondes pour me décider à quitter ces lieux d’oubli en m’engouffrant dans le tunnel, obsédé par l’image de ces cadavres intemporels qui ne livreraient jamais leur secret : leur crâne était énorme, inhumain, et, malgré la dessiccation, leur peau était grisâtre. Ils avaient des orbites anormalement grands, et l’un d’eux les tournaient vers moi au moment où la mine recouvrait d’une nouvelle chappe de roche et de terre la mystérieuse nef de métal.
Il eût fallu un cerveau tel que celui de Holmes pour décoder méthodiquement le mystère de la présence de cette dernière ici, de sa nature et de son âge. Alors que je parvenais enfin à sortir, au prix de plusieurs heures d’errance dans le noir, m’écorchant et me cognant, perdu dans mes pensées, ivre d’angoisse et de questions restées sans réponse, je résolus d’inscrire tout cela sur un carnet, dans les moindres détails, comme je le faisais d’ordinaire. Je le rangerais dans ma malle, à Londres, avec celui de Moriarty. Avec tous ceux qui attendaient que le monde fût prêt. Un jour, peut-être, serais-je capable de relire ces notes à tête reposée, de faire des recherches, d’en parler à quelqu’un qui ne me prendrait pas pour un vieux fou et qui pourrait m’aider à comprendre ce qui se trouvait enfoui sous des tonnes de rochers, dans la mine oubliée de Reichenbach. »
John H. Watson, Londres, 1901
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