20 mars 2007

SALON DU LIVRE DE PARIS + interview du mois

RAPPEL : je serai en dédicace au salon du livre de Paris, Porte de Versailles, stand A160 (éd. nestiveqnen) vendredi 23, samedi 24 et dimanche 25 mars toute la journée.

horaire officiel des dédicaces : 16h-17h



INTERVIEW PARUE DANS GEANTE ROUGE N°6 (mars 2007) :

EK : Bonjour, Claire Panier-Alix, alors, qu’est-ce que ça fait de débarquer dans un fanzine qui d’habitude se cantonne à la SF ?
CPA : Toute intimidée (rire). Et toi, qu'est-ce que ça te fait d'y introduire de la fantasy ?

EK : Note bien que l’univers que tu développes dans le Sang d’Irah n’est pas vraiment uniquement de fantasy, puisqu’il y a cette faille jaune qui le relie à la Terre du début du XVIIème siècle… C’est un peu SF, ça… On s’encanaille ?
CPA : En fait ce roman se déroulant chronologiquement avant la trilogie "La Chronique Insulaire", c'est plutôt soft, de ce côté-là. L'aspect "fantastique" et transgenre est beaucoup plus développé dans "La clef des mondes" (le bien nommé) et balaye complètement la fantasy dans "Le roi repenti" (où je me suis amusée avec mes dadas fortéens en jouant sur les chutes de mannes, le continent aérien cher à Charles Fort, Génésistrine, les îles aériennes à vapeur (assez SF, mais c'est parce que j'aime tant Maurice Renard), un monde insectoïde, toutes sortes de passages de portes (ah ! PJ Farmer !) et j'en passe... Pour écrire Sang d'Irah, il m'a fallu revenir en amont de tout cela, sur une terre de légende plus "arthurienne" et héroic fantasy, la magie de la high fantasy ayant plus sa place dans l'Echiquier d'Einär. Bref, je ne m'encanaille pas, mais je m'efforce d'encanailler le lectorat de fantasy actuel que je trouve un peu bridé par ce qu'on lui donne à manger... Sans doute est-ce dans Sang d'Irah que cet aspect de mon travail est le moins évident, justement parce qu'il s'agit d'une préquelle, mais je n'ai pu m'empêcher de semer quelques cailloux blancs pour ceux qui avaient lu la trilogie. La faille spatio-temporelle à laquelle tu fais référence, et qui me permet d'introduire un pirate du 17e siècle dans mon petit univers légendaire, est de ceux-là. Ensuite, tout est question de point de vue, littérairement parlant : du point de vue de mes personnages, il y a beaucoup de fantastique (intrusion d'anormal dans leur réalité), comme les trolls frappés de lycanthropie par exemple...

EK : Revenons à ton univers, cette île de Nopalep. J’ai une théorie : Nopalep, ça me fait furieusement penser à l’île de Peter Pan avec un Peter qui se ferait appeler Nicolas et incarnerait en même temps le capitaine Crochet, une fée clochette qui serait un peu reine, etc. Qu’est-ce que tu fais ? Tu me flingues tout de suite, ou plus tard ?
CPA : Ma foi pourquoi pas ? Mais dans ce cas, Peter et Clochette ce seraient moi, dans ma démarche d'écriture... Toutefois, je préférerais que tu évoques Munschausen, ou Swift, tu serais plus juste... J'ai conçu Nopalep'am Brode il y a bien longtemps, et cette île-continent rassemble quatre de mes passions d'enfance, de façon très schématique. Au nord, la Scandinavie; Au sud, l'Egypte-Yucatan; Au coeur, un royaume de high fantasy à l'ouest, et la terre d'Irah, toute arthurienne, à l'est...

EK : Encore un mot sur Irah. Le personnage de Maryannor est très complexe, très fouillé, très attachant, très femme, en fait. Par contraste, les héros masculins seraient un peu plus monolithiques. Ou alors, c’est comme ça dans la vraie vie ?
CPA : Ce serait si facile de dire que je manie mieux ce que je connais de l'intérieur... Mais comme je l'ai déjà dit, ce roman, s'il s'inscrit comme le premier de la série chronologiquement, est le quatrième dans l'ordre d'écriture. Dans les trois précédents, il n'y avait pour ainsi dire pas de personnage féminin. Dans sang d'Irah, j'ai voulu montrer un personnage qui n'était pas une potiche ni un stéréotype, mais un être humain à part entière, avec ses ambivalences, ses ratages, ses raisons, un personnage qui évolue, comme je l'avais fait jusque là avec mes (anti-)héros. Pour ce qui est des hommes, dans ce roman, ils ne sont pas monolithiques. Pas tous. Cela dépend un peu de leur monde et de ce qu'il représente sur la carte. L'Homme-Dieu d'Orkaz l'est très certainement, encore qu'il ait bien du mal à se débarrasser de son humanité pour assumer son rôle de dieu-incarné sans faille. Quant à Duncan d'Irah, j'espère bien qu'il l'est, droit dans ses bottes, trop même, car c'est ce qui le définit et le rend attachant. Comment se débrouiller, quand on est un héros de légende, mais qu'on est entouré par des êtres faillibles, veules, sur qui on ne peut pas compter, des êtres humains, quoi ? Duncan était l'un des personnages principaux de la Chronique Insulaire, mais il était mort, un reflet de la légende qu'il avait laissé derrière lui. Les lecteurs l'ont adoré et voulaient savoir ce qu'il avait vécu avant de se retrouver sur l'échiquier d'Einär... J'espère ne pas avoir trop abîmé leur chéri... C'est confortable de se glisser dans les bottes d'un héros sans peur et sans reproche, mais j'ai voulu montrer que ces qualités héroïques n'étaient pas toujours si faciles à vivre, et qu'elles ne faisaient se pamer que les midinettes. Une fois que celles-ci sont devenues des femmes, comme c'est le cas de Maryanor, il leur faut un peu plus qu'une peinture préraphaélite pour les exciter... Et je pense que le lectorat de fantasy à besoin de textes un peu étoffés, dans le fond comme dans la forme, une fois passé la puberté... Ou plutôt (car il faut peut-être nuancer un peu) qu'il ne faut pas négliger le lectorat adulte. Souvent, de nos jours, on fait comme si les lecteurs de fantasy n'existaient qu'entre 13 et disons 25 ans, qu'il recherchait uniquement du divertissement pré-mâché, et qu'il ne fallait surtout pas espérer ramener (je dis bien : ramener, rendre à César !) ce genre premier dans le giron de la littérature. Tu vois ça, le bon vieux schisme entre littérature avec un grand L et roman populaire... Mais je m'égare.

EK : Parlons de toi, maintenant. Cette envie de créer des mondes, foisonnants comme ceux que tu nous offres, ça remonte à quand ?
CPA : Je ne me suis jamais trouvée à mon aise "ici et maintenant". J'ai adoré Stevenson et Jack London quand j'étais petite, puis je suis tombée dans Tolkien et dans Farmer, Moorcock et je te fais grâce de la liste : on a tous à peu près la même... Pendant mes études, j'ai été amenée à m'interroger sur la démarche créatrice des auteurs qui me fascinaient. Et, de fil en aiguille, la mienne est née...

EK : Mais il y a bien un jour où les choses ont basculé, où tu t’es mise à y croire ?
CPA : A croire en quoi ? à l'extrême jouissance qu'il y a à voyager dans son propre inconscient, dans son patrimoine culturel, dans son imaginaire ? à la frustration permanente que cela génère ? à la magie de la découverte ("c'est moi k'a fé ça ?")... ? Je ne crois qu'à une seule vérité : demain est un autre jour, laisse venir...

EK : Et la petite Claire, qu’est-ce qu’elle lisait, qu’est-ce qu’elle regardait à la télé, au cinéma ?
CPA : Le Muppet Show, L'île aux Enfants, Candy, tous les films de cape & épée possibles, les mohicans de paris, vidock, le prisonnier, Temps X, Excalibur, Conan, la Planète Interdite (mon film culte depuis toujours), les mines du roi Salomon (avec Stewart Granger, mon second film culte) etc.. Côté lecture, j'ai déjà évoqué ci-dessus quelques pistes. Je suis assez classique, j'adore Gustav Meyrinck, Potocki, Renard, Dumas, Farmer, Herbert, K Dick, Shakespeare, Tolkien, Gaston Leroux, Cervantès, Giraudoux, Anouilh, Homère, E.R. Burroughs, Howard (sans Sprague et en vo), Leiber, LeGuinn, Melville, l'Arioste, Virgile, Kippling... Bref, j'ai toujours été ecclectique, pourvu que ce soit bon.

EK : Ecrire, c’est toujours un peu technique, aussi. Alors, dis-nous tout : as-tu des manies, des horaires, des lieux, fais-tu un plan, écris-tu à la main, ou sur clavier, tout, quoi, on veut tout savoir !
CPA : J'écris toutes les nuits, de 23h à 2 ou 3h, sur mon fidèle ibook, et je corrige dans la journée sur papier. Je saisis les modifs le soir et rebelotte. Mes manuscrits sont des millefeuilles que je repasse sans arrêt jusqu'à ce que mon éditeur me l'arrache. Je n'écris jamais quand je suis en congé (je suis bien incapable de dire pourquoi) par contre je passe un temps fou à relire, à remanier, à biffer, à corriger, à reprendre, à gonfler... Je ne suis jamais un plan écrit, par contre j'ai tout en tête, une espèce de trame en plusieurs dimensions, avec les implications, la ligne directrice etc.. A partir de là, je laisse l'écheveau se dérouler, et je vérifie en permanence sa cohérence. Je suis depuis toujours une inconditionnelle des dictionnaires (synonymes, analogies...), mais actuellement ce qui me prend le plus de temps c'est l'évaluation de la mise en scène, la façon d'amener les choses. j'ai beaucoup simplifié mon style, et suis une adepte du "montrer vaut mieux que dire", bien que je sois irrémédiablement bavarde à cause d'un traumatisme remontant à mon enfance en tolkiennerie (comment faire quand on est imprégnée par la réfléxion du vieux et brave professeur d'Oxford concernant la vie, le non dit qui interpelle le lecteur quand on évoque une forêt ou une montagne au loin où il doit bien se passer quelque chose, aussi... ?)

EK : Pour la convention de Bellaing, tu as donné à Pierre Gévart une nouvelle qui parvient à marier au moins trois genres. Est-ce que, dans tes cartons ou dans tes projets il y a quelque chose comme cela, loin de Nopalep ?
CPA : Comme je l'ai dit plus haut, c'est une de mes manies. Je n'y pense pas, mais je ne peux pas m'en empêcher. Mon univers personnel n'est pas fait que de tel ou tel genre ou influence, pas plus que mes goûts ou mes aspirations. Je ne m'interdis rien, je laisse venir, et si ça tient la route c'est que cela devait être. Vive la diversité, l'originalité, le dépaysement, le plaisir... Et c'est une gageure quand on est étiquetée "fantasy", parce que pour moi, cela veut dire "tous azimuts", et surtout ailleurs que sur les terres d'un autre. La fantasy, c'est du fantasme, de la mythologie moderne, et je ne me sens pas l'âme d'un coucou. J'ai un projet en cours où il sera question dans le même espace-temps du Paris du 19e s, de l'âge de bronze, de polar, de fantasy, de fantastique, de steampunk et peut-être un peu de SF si on me cherche trop de ce côté (rire). Je ne me sens pas concernée par les sempiternels débats sur les étiquettes, les définitions, les boîtes. Ou plutôt je ne voudrais pas l'être. J'ai la chance d'avoir un éditeur courageux et ouvert d'esprit, reste à espérer que les libraires et chefs de rayon, pour ne parler que d'eux, retrouveront rapidement leurs esprits et donneront une chance aux lecteurs de pouvoir faire leurs propres choix...

EK : Et pour toi, c’est quoi, la différence entre la SF et la fantasy ?
CPA : Je passe.

EK : C’est vrai que c’est un peu vain de chercher des classifications, de mettre des barrières. Et toi, tu te sens bien avec les gens de la SF aussi. Alors, dis-moi, sur l’île déserte (non, pas Nopalep ! Déserte, j’ai dit), tu emportes dix livres : lesquels ?
CPA : Dix, c'est vraiment pas beaucoup si elle est déserte, ton île, dis !

Le Golem, de Meyrinck
Bran Mak Morn, de Howard
Don Quijotte, de Cervantès
Le manuscrit trouvé à Saragosse, de Potocki
L'intégrale de Shakespeare chez Bouquins
L'intégrale des Sherlock Holmes, d'A. Conan Doyle
Le seigneur des anneaux, de Tolkien,
Le livre des Damnés, de Charles fort
l'Eneïde, de Virgile,
l'intégrale des faiseurs d'univers, de Farmer (je triche, je sais, mais je l'aime tellement, mon Farmer)

EK : Et la question rituelle : dans l’expression "Le XXIème siècle sera… ou ne sera pas", par quel mot tu remplaces les tirets ?
CPA : Euh... Etant donné qu'il est déjà un peu entamé, je ne sais que dire. Bon, on va faire comme si on n'avait rien vu, et comme je suis une casse-pieds je t'en propose deux :

"long" ou "utopique".

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