18 novembre 2006

ARTICLE : MEGALITHES & AXIS MUNDIS


Introduction: symbolisme et croyances
"De Stonehenge, en Angleterre, à Newgrande, en Irlande, jusqu'à Carnac, dans le Morbihan, une troupe de granit, dont chaque menhir serait un soldat, monte la garde."
L'espace
Du limité à l'illimité
La réprésentation
Un rôle social
Des portes
Là où la terre s'achève
Le destin des hommes
De l'anthopomorphisme à l'abstraction et au mythe
Axis Mundis, Ond : les vertus des pierres levées

· L'ESPACE
Il existe un processus de sacralisation de l'espace pendant la préhistoire qui se comprend par la délimitation de l'espace (une aire volontairement dégagée par l'homme, ce qui la rend autonome). Cette aire dégagée artificiellement et dans un but précis s'est rapidement vue spécialisée, attribuée à des fonctions collectives, instituée. L'espace ainsi accaparé et transformé devint donc l'un des ciments (sinon la matrice principale) de la vie en collectivité (communauté, par opposition à la simple notion de groupe.)

A partir de là, un besoin "architectural" s'est lié à un symbolisme naissant, obsédant, faisant penser à la naissance d'une religion telle que nous pouvons la concevoir: croyances, rites, cérémonies. Auparavant, l'espace sacré, que j'appellerai "sanctuaire", trouvait sa place dans un espace "préconstruit" par la Nature, comme une partie de la grotte (il ne faut pas négliger l'aspect passionnant de cette récupération hautement symbolique de l'espace souterrain, recouvert, enveloppant, sombre, riche en formes naturelles qui sont autant de composantes supplémentaires à la sacralisation. Mais dans le thème qui nous intéresse, l'espace externe s'ouvre à un symbolisme nouveau tout aussi fascinant, et je dirais, astral.)

· DU LIMITÉ À L'ILLIMITÉ
Les mouvements du soleil (et le ciel en général) s'inscrivent dans un universalisme fondateur. Ils délimitent les quatre directions essentielles: le sud (propice, devant soi), le nord (néfaste, derrière soi), l'axe "mouvement solaire" d' est en ouest. La disposition des constructions religieuses tels que temples, tombes et autres sites mégalithiques, et la signification symbolique des espaces utilisés ou parcourus, est la répercussion directe de ces pôles universels et solaires. Ces limites spatiales, dès lors qu'elles sont attachées aux mouvements du Soleil (et des astres en général) ont dû fonder l'opposition du bien et du mal, du limité et de l'illimité par le constat immédiat des côtés diurnes et nocturnes, l'opposition de l'est et de l'ouest. Cela a donné un sens au cosmos, à l'environnement divisé entre connu et inconnu.

· LA REPRÉSENTATION
Forme artificielle, sélectionnée dans la nature, reproduite et saisie, l'image (picturale, gravée ou sculptée etc..) devint ensuite une création en soi venant s'ajouter à l'espace. Plus que d'image, il faut parler de témoin matériel de l'expression religieuse, voire de vecteurs pour communiquer avec un autre monde (pour passer de l'autre côté, ou pour communiquer dans un sens ou dans l'autre: profiter des ondes venues de l'autre côté ou envoyer des messages), ces objets aujourd'hui muets que sont les mégalithes sont bien davantage que des vestiges architecturaux (religieux ou autres), ce sont des objets porteurs de forces spirituelles au même titre que les fétiches d'aujourd'hui. Plus que leur nature, leur situation ou leur disposition, ils avaient une fonction bien définie.

· UN RÔLE SOCIAL
Au cours du néolithique moyen occidental (4è millénaire), d'immenses enceintes et de nombreuses installations découvertes par les archéologues prouvent l'intensité démographique, mais aussi l'implantation locale des populations jusque là souvent migrantes.

Près des enceintes, on trouve une forte concentration de sépultures collectives et monumentales, d'abord de terre et de bois, puis sous des dolmens, vestiges des monuments qui formaient jadis des tertres. Expression de solidarité, cette forme de sépulture parvenue jusqu'à nous avec ses mystères et ses mythes montre aussi une organisation religieuse très forte, réellement structurée. En plus de ces sépultures monumentales, cette époque est aussi celle de vastes réseaux d'échanges, d'exploitation minière de grande ampleur, de systèmes économiques, techniques et sociaux importants bien que naissants. Cette cohérence et ce développement social vont de pair avec le système religieux . Peu de traces exploitables sont parvenues jusqu'à nous, et les archéologues doivent déduire les phénomènes de minuscules fragments, ou de pierres levées, dressées sur leur mystère. Les dolmens sont des sépultures, comme les orthostates (pierres verticales) ou les petits "autels" plats supportés par quatre pieds en sont d'autres, mais il reste tant d'autres formes mégalithiques qui continuent de se taire et de laisser les théories s'échafauder, et souvent, s'écrouler au fil des années...

Ces éléments de structure sociale montrent que peu de troubles venaient perturber cette période du néolithique, notamment en matière religieuse qui, par les traces qu'elle laisse, démontre une certain stabilité, et, peut-être, une immuabilité symbolisée par la permanence de la pierre mégalithique. Une sorte de puissance institutionnelle fortement installée dans les différentes sphères d'une société forte et stable qui a surmonté le choc de la période précédente: la confrontation des autochtones et des populations migrantes arrivées ici en masses déferlantes, et depuis assimilées. On peut imaginer que cela donnait des sociétés (peuples ?) fortifiées par un apaisement provisoire des angoisses collectives (avenir incertain, inconnu, guerres, bouleversements de toutes sortes), et galvanisées par l'omniprésence des mégalithes, de l'Au-Delà...

· DES PORTES
Je l'ai suggéré plus haut: la pierre, surtout si elle a des proportions imposantes, surhumaines, est immuable, inscrite dans le temps et dans l'espace (suivant des critères primordiaux). Le mégalithe est une porte, un seuil, un garant. C'est aussi l' élément symbolique essentiel d'une religion dont nous ignorons à peu près tout mais qui devait être tellement intégrée aux pratiques quotidiennes que son sens s'est en quelque sorte lissé dans les traces archéologiques laissées par ces populations du néolithiques moyen, ce qui laisse libre cours aux interprétations les plus fantaisistes.

· LÀ Où LA TERRE S'ACHÈVE
La période qui nous intéresse le plus est le néolithique récent. Elle est marquée par de grands bouleversements liés à la fin de l'expansion géographique. C'est la fin d'une ère, et les spécialistes de la période la décrivent en parlant de "phénomène de flottement, de troubles de mutations". On remarque effectivement que les traces archéologiques et mégalithiques se densifient tout le long de la façade atlantique de l'Europe.

C'est là que la terre s'achève, pour laisser les brumes et les furies de la mer prendre le relais. La démographie continue de croître, ce qui a justifié ce regain de migrations, mais cette fois, elle se concentre le long des côtes: on peut parler d'agglomérations, d'agglutinement au bord de ce qui est pour l'instant inaccessible et inconnu.

Ces civilisations de la façade Atlantique sont prospères, mais elles seront éphémères. Portugal, Bretagne, Angleterre et Irlande fourmillent de mégalithes dont le nombre sur un même site (et parfois les proportions) dépassent tout ce qui s'est fait jusqu'alors. Ces mégalithes semblent avoir atteint un sommet dans leur fonction (et conception) astronomique. Ils ne sont plus seulement des stèles funéraires ou des autels rituels. On a l'impression que ces prestigieux témoignages aux cieux d'un peuple en pleine expansion mais arrêté par l'espace, furent le seul recours qu'il ait eu pour affronter cet obstacle, cette apparente certitude de "fin".

· LE DESTIN DES HOMMES
On constate l'émergence de gigantesques constructions circulaires ou en alignement conformes aux points cruciaux et aux déplacements des astres, constitués de pierres dressées, la plupart du temps de très haute taille (menhirs). On pense que ces monuments mégalithiques devaient être utilisés pour le calcul de saisons sans doute pour déterminer les phases critiques de l'agriculture naissante et des cérémonies rituelles qui devaient l'accompagner. On parle aussi du renouveau des astres (symbole de l'abondance et de la fécondité, bref, de la Vie).

Les saisons, le ciel, les astres, la nuit et le jour renaissant: de tout cela dépend le destin des hommes, c'est donc vers eux que devaient se tourner les cultes, et bien vite, les motifs ornementaux et autre subtilités architecturales: cercles concentriques de Stonhenge aux orientations solaires et lunaires par exemple, ou encore les spirales et les rayons gravés sur la dalle de fermeture de l'immense tumulus de New Grange (Irlande) dont la lucarne qui surmonte l'entrée permet de façon incroyablement précise d'éclairer le fond du monument par les rayons du soleil aux changements de saison.

· DE L'ANTHROPOMORPHISME À L'ABSTRACTION ET AU MYTHE
Tout le long de la façade atlantique (du Portugal à l'Irlande) se retrouve cette obsession céleste par d'innombrables alignements de pierres dressées et méthodiquement assemblées. Levers, solstices, phases lunaires, calcul des saisons et réjouissances leur correspondant semblent autant d'éléments communs à des populations réparties sur toute l'Europe, principalement sur la frange occidentale. Dans les colossales sépultures du Portugal et du sud de l'Espagne on a retrouvé des statuettes plates en schiste, parfois cylindriques en calcaire ou en os, sur lesquelles se retrouvaient des motifs géométriques et de larges ocelles jumelées rappelant l'importance du regard déjà révélé par les gravures trouvées dans la période précédente sur les orthostates. Or, la vision nous ramène à l'importance de la compréhension dans la religion néolithique. Ces motifs géométriques se font de plus en plus nombreux au fur et à mesure qu'on avance dans la période: cercles, rais, croissants, puis anneaux s'accumulent, qui paraissent évoquer les astres mais aussi une approche différente de la religion: de l'anthropomorphisme à l'abstraction.

Ce qui rend la compréhension des traces laissées plus difficile à appréhender pour les chercheurs.

La fin du néolithique voit de nouvelles périodes de troubles, sans doute dues à la trop forte concentration démographique le long des côtes. On constate parallèlement (mais cela reste lié) l'émergence de sépultures plus vastes et "riches", de type "princières", qui suggère de plus fortes différences de statut social au sein de la collectivité, et ce par delà la mort. La maîtrise des premiers métaux précipite l'issue de ces bouleversements, constituant des armes, mais aussi des objets de grande valeur, signes de puissance et de richesse pour ceux qui les détiennent. Au bout du compte, les société mégalithiques s'en trouvent vraiment transformées, et leurs fondements religieux mis à mal: avec la constitution d'un nouveau type social émerge les premières mythologies protohistoriques où les dieux se mettent à assumer des fonctions "humaines" et où forgerons, souverains ou guerriers deviennent des membres déterminants à l'aube de la période suivante: l'Histoire. Les mégalithes, eux, subsistent, mais leur usage (leur sens), s'il se perpétue un temps, finit par être détourné, ou par se perdre.

Entre les deux périodes, on constate en effet de fortes analogies formelles. La "récupération" de faits historiques par des explications surnaturelles contribue à alimenter le nouveau fond religieux (mythologique). De même, les nouveaux dieux s'accaparent sites et sens anciens pour les assimiler à des conceptions nouvelles. Les images religieuses, les monuments dont la mémoire a perdu le sens, le rôle, l'origine, sont également absorbés ou condamnés à l'oubli, voire à la destruction s'ils ne se plient pas à une sorte "d'analogie contextuelle".



-I-
LES CHAMBRES DOLMENIQUES EN EUROPE DE L'OUEST
"On voit apparaître, il y a des dizaines de milliers d'années, ce culte aux ancêtres qui est probablement une des premières manifestations de la sacralité. On se dit: ces gens sont morts, mais ils sont quelque part. Il faut respecter leurs restes."

Hubert REEVES


L'époque du Peuple des Mégalithes remonte à 5000 avant JC. C'est le néolithique. 35 000 ans séparent ces gens de ceux qui vivaient dans les grottes (paléolithique supérieur) , et 7000 ans nous séparent d'eux et de leurs mystérieux alignements de pierres levées.

· variantes
· l'exemple du cairn de Gavrinis

· fonctions rituelles


les dolmens de la façade atlantique
"A la fin de l'âge du bronze, l'Europe occidentale et septentrionale, surtout sur la façade atlantique, voit surgir du sol une "végétation" minérale géante et multiple. Un peu partout, on dresse des pierres vers le ciel. Dans quel but ? le défier ? à quoi cela sert-il s'il est vide ? l'appeler à l'aide , lui rendre hommage ? intercéder pour obtenir protection ? pour l'adorer ?"

Marcel JULLIAN

Il y a autant de variantes que de lieux, en matière de dolmens. Elles tiennent autant de l'évolution dans le temps des conceptions, que des coutumes locales et des matériaux mis à la disposition des bâtisseurs par la région concernée. La nature du sol elle-même entre en considération. Le dolmen de Villeneuve-Minervois, dans l'Aude (France) a été érigé sur une colline abrupte au milieu des rocailles de la garrigue, alors qu'on trouve certains dolmens à demi enterrés (la table étant à peu près au même niveau que le terrain environnant) comme celui de Runesto (Carnac, Morbihan) ou Buzeins (Aveyron), comme si ses constructeurs avaient dû faire un compromis entre l'hypogée et l'hypergée.

La forme du cairn en lui-même varie, ronde ou longue. Parfois, elle n'est plus discernable, à cause de arasements et des destructions successives. De fait, si culturellement nous avons pris l'habitude de parler distinctement de dolmen et de cairn, comme s'il s'agissait de deux monuments différents, il faut garder en mémoire ou se contraindre à l'admettre, que le dolmen était toujours enterré, faisant partie intégrante du cairn. Le temps et l'histoire ont fait disparaître certaines parties des cairns, laissant le dolmen à l'air libre, nu, mais ce n'était pas sa forme originelle.

Les variantes sont aussi visibles dans la conception architecturale de fond du cairn. Il y en a avec ou sans allée couverte, sans couloir, ou avec dolmen à double muraille qui ont en général une chambre principale ou une galerie munie d'un petit portique à l'ouest, et une autre chambre, plus petite, fermée à l'est. Ce type de cairn est plus large et plus haut du côté ouest, avec des murs de soutènements doublés, comme l'un des cairns de l'ensemble mégalithique de Chanac, en Lozère (sud de la France). On en trouve beaucoup en Irlande, comme celui d'Islande (comté de Cork). Dans tous les cas, ce type de cairn avait une table dolmènique colossale, ce qui justifie peut-être le double soutènement. De toute façon, on ne peut sérieusement établir une interprétation en ne gardant que les arguments physiques évidents et en mettant de côté des éléments symboliques qui nous échappent.

Ainsi, on a constaté que certains dolmens voyaient leur entrée fermée par une dalle perforée artificiellement. Il y a des dalles perforées de ce type en Palestine et en Crimée, ainsi que sur les côtes ouest de l'Inde où près de 1000 dolmens ont été découverts, et possèdent cette particularité de la porte trouée.

L'exemple du dolmen à couloir de Larmor-Baden dans le Morbihan, ou "Cairn de Gavrinis", montre l'une des plus belles constructions dolmèniques d'Europe, voire du monde.

Il se trouve sur une petite île, en face de laquelle se trouve l'îlot Er Lannic où deux cromlechs subsistent encore, bien que l'un d'eux soit submergé. Gavrinis semble être le tertre le plus élevé d'un ensemble plus vaste, dominant la Petite Mer (Morbihan) de la Grande Mer (Mor Braz), et devant se voir de loin à l'époque où les lieux n'étaient qu'un marécage parsemé d'îles. Par ailleurs, il se situe au centre d'un immense réseau mégalithique couvrant la région de Carnac, Locmariaquer et Arzon ce qui fait de lui l'un des sites religieux importants du néolithique.

Le Cairn de Gavrinis mesure 100 mètres de circonférence, et 8 mètres de haut. Son couloir court sur 14 mètres, s'ouvrant au sud-est et débouchant dans une chambre carrée de 2 mères 50 de côté. Pour pénétrer dans cette chambre sépulcrale qui est à peine plus large que le couloir d'accès, il faut passer une sorte de seuil symbolisé par une dalle. Il n'y a aucune voûte en encorbellement, et chaque dalle est soigneusement juxtaposée. La chambre comporte 9 blocs énormes servant de support à la dalle dolmènique qui ne fait rien de moins que 4 mètres sur 3.

Des cavités ont été creusées dans la paroi de l'un des supports du dolmen, antérieures à l'érection du mégalithe, et une légende rapporte que des prisonniers y étaient attachés.

La chambre dolmènique est décorée de façon saisissante et assez exceptionnelle. Les parois sont profondément gravées, et cette richesse d'ornementation symbolique se prolonge jusque dans le couloir. J. Markale émet l'hypothèse que cette chambre ait pu servir à autre chose qu'à un rite funéraire, et que des cérémonies initiatiques sont liées à ces gravures pariétales: "Il est difficile d'admettre que cette ornementation n'était que funéraire, ou alors il faut songer que toute initiation passe par une mort rituelle et symbolique avant de déboucher sur une renaissance tout aussi symbolique et intérieure; le passage sous le bandeau et "dans la tombe" des rituels maçonniques sont significatifs de ce genre de choses, et il est impossible de ne pas imaginer que dans cette chambre de Gavrinis ont eu lieu, à des époques différentes, des cérémonies d'initiation à quelque sagesse inconnue. Le lieu semble s'y prêter, et les gravures paraissent le confirmer. (...) Il y a ainsi , à l'intérieur du cairn, à peu près 60 m2 d'un décor absolument unique en son genre."

Ces ornementations diffèrent sensiblement de celles que l'on peut trouver en Irlande: à Gavrinis, il n'y a ni triskell, ni spirale. Elles semblent typiquement armoricaines, effectuées selon un procédé de piquetage parfois très léger sur des surfaces préalablement dégrossies. Il y a des sortes d'écussons représentant la Grande déesse, et d'innombrables signes en U, des signes serpentiformes, des cercles et demi-cercles concentriques ou allant en ondulant.

Ses dimensions sont assez impressionnantes, bien que difficilement comparables à des sites tels que New Grange. L'ensemble a été restauré de façon à ce que l'extérieur du cairn restitue ce que les chercheurs pensent avoir été son aspect primitif, sur le sommet d'une butte. Visible de très loin.

La plupart des dolmens dits "simples" qui se trouvent en Europe sont les vestiges de monuments plus importants qui n'ont pas résisté au temps et à l'Histoire. Comme tous les mégalithes de type dolmèniques, ils étaient à l'origine enfouis sous un tertre funéraire, constituant une sorte de portique sacré.

Toutefois, ceux que l'on trouve le plus souvent dans la partie continentale (par opposition aux îles britanniques) sont de constitution plus simple et nettement plus petite que leurs homologues, ne formant qu'une chambre sas couloir d'accès. La table de pierre sert de porte, et le tout est recouvert de terre, ce qui constitue le cairn, pouvant lui-même avoir des proportions variées. La plupart du temps, les dolmens de ce type étaient constitués d'une dalle de couverture assez grande de trois supports, mais il pouvait y en avoir davantage. On les trouve en grande quantité au sud du Massif Central.

La petite taille des tables dolmèniques de l'Europe continentale vient vraisemblablement du fait que les cairns auxquels elles étaient destinées ont été dressés à la fin du Néolithique, sans doute aux débuts de l'ère du métal. Or, il semble qu'à partir de l'âge du cuivre les gens n'aient plus bâti de vaste monuments de pierre, se contentant de petites chambres dolmèniques sans couloir d'accès. C'était déjà la fin de l'ère mégalithique, qui se concrétisa entre -2000 et -1800, à l'âge du bronze. A cette époque, on se contentait d'un sépulcre de pierre sous un petit tertre.

Les chambres dolmèniques étaient des sanctuaires rituels dont la fonction première semble avoir été funéraire. Bien que certains cairns fouillés n'aient révélé aucune trace de sépulture, les chercheurs pensent que l'acidité des sols granitiques et la double pratique funéraire reconnue pour le néolithique (inhumation - crémation) peut l'expliquer, et que la fonction sépulcrale des cairns reste une évidence. Lorsque les corps étaient inhumés, un rituel précis semble avoir existé quant à la position du corps. Par exemple, dans le cairn de Collorgues (Gard, France), une quinzaine de dépouilles avaient été disposés en rayon solaire. Dans certains cairns, les corps avaient subi des mutilations (perforations crâniennes) suggérant des cérémonies précédant l'inhumation. Certains estiment qu'il y aurait un rapport entre le phénomène des portes trouées et celui de la perforation du crâne des défunts après leur décès. On imagine que ce serait pour permettre à l'âme de quitter le corps et le tombeau pour accéder à l'autre monde. D'autres pensent que c'était pour passer de la nourriture au défunt. Quoi qu'il en soit, on ne saura jamais exactement à quoi cela pouvait correspondre, et tout, pour l'heure, n'est que pure conjecture en ce qui concerne les mégalithes.

Voici ce qu'en dit Marcel Jullian, lorsqu'il est allé voir le site de Filitosa, en Corse du sud:

"D'où vient ce bouleversement , cette sorte de fièvre communicative qui, après le Vè millénaire avant notre ère, semble avoir touché une grande partie des vivants ? les morts y participent à leur insu. "Bien qu'il demeure des points obscurs quant à leur signification, écrivent Jean-Dominique Cesari et Lucien Acquaviva, on ne peut s'empêcher de penser que les statues-menhirs sont liées étroitement à l'idée de la mort. Les premiers menhirs-stèles du IIIè millénaire étaient associés à des coffres mégalithiques, les suivants à des dolmens."

Souvent, l'artiste s'est appliqué à représenter, plus ou moins symboliquement, le mort qu'on mettait en terre. C'était pour les funérailles de personnages marquants de la tribu. (...) On ne peut pas ne pas songer, à ce stade de l'interprétation des mégalithes, à la comparaison entre la rigidité du cadavre et celle de la pierre levée. Entre les deux, les similitudes sont nombreuses et évidentes: l'immobilité, le silence, la non-communication avec les vivants. Les statues de Filitosa ont taille d'homme, contour rudimentaire d'homme. Elles prennent sa place. Elles lui confèrent une éternité minérale."



-II-
L'ÉNERGIE QUI FAIT VIBRER LA NATURE
(L'OND - L'AXIS MUNDIS - LES VERTUS DES PIERRES LEVEES)

· L'OND:
Le langage des pierres - ou l'intérêt immémorial des peuples pour certains lieux - peut s'interpréter en fonction du conglomérat de forces, d'énergies qui en émanent.

Ce phénomène se cache sous bien des noms dans la plupart des cultures. Ainsi, nous connaissons le "prana" hindou, le "pneuma" de la Grèce antique ou encore le "qi" de la géomancie chinoise, qui n'en sont que des interprétations, tout comme le sont "l'agent formateur universel" des alchimistes, "le magnétisme animal" de Mesmer, le "vril" de la Théosophie, "l'orgone" de W. Reich ou encore "l'odyle" (ou force odylique) de Recheinbach. On parle plus généralement de tellurisme et de géomancie.

Dans la tradition nordique, ce phénomène porte le nom de OND. C'est celui que je choisis d'utiliser dans cet article, car c'est dans cette tradition que s'inscrivent les constructions mégalithiques qui me serviront d'exemples.

Dans ce cadre, il n'y a aucune différence entre le sacré et le profane. Le monde dans lequel nous (nos ancêtres) vivons, les êtres qui l'habitent avec nous ainsi que nous-mêmes sont considérés comme un élément du tout, du sacré. De la déesse-mère. De la terre.

Chaque chose, vivante ou "inanimée", est un élément du tout universel, possédant une part du pouvoir divin créateur à partir duquel elle a été engendrée et vers lequel elle retournera un jour. La terre elle-même entre dans ce système. Le Tout peut se définir comme un continuum matière-espace-temps de l'univers, lui-même entrant dans un complexe de type "multivers": tout est un cycle, sans début, et sans fin.

L' Ond est une essence active et naturelle qui traduit cela, appartenant à la fois à une réalité matérielle et à des phénomènes "magiques", spirituels. Ce flux d'énergie émane de la terre, de ce qui la compose, des êtres qui la peuplent. Il se manifeste à des degrés divers, et ne se perçoit que dans certaines circonstances (lieu sacré ou sacralisé, rites, période de l'année (astronomie, saisons, équinoxes...)). Cette énergie est reconnue par certains scientifiques qui, sans parvenir à l'expliquer totalement, l'étudient au cas par cas ce qui ne manque pas d'en altérer l'interprétation: Ce n'est pas simplement un agent servant au transfert d'énergie par des moyens chimiques, magnétiques ou électriques, d'autres paramètres "quantifiables" doivent être pris en compte, comme la géométrie, ou les feux qui animent toute chose et tout processus matériel. D'autres, encore, restent plus "ésotériques" et tendent à avoir été oubliés au fil des millénaires sans que les croyances en soient toutefois totalement effacées...

Cette énergie, l'OND, vient du ciel et, attirée par les points élevés, s'écoule vers la terre comme le fait l'eau, l'air, ou la foudre. Le paysage en détermine la direction, la densité du flux ou même la forme. Certains lieux sont réputés propices à sa concentration, et ce sont généralement eux qui ont vu depuis les plus lointaines origines de l'éveil spirituel humain l'établissement des sites "sacrés". Légendes et traditions mythologiques se font les échos de ces anciennes perceptions, et rapportent des phénomènes tels qu'apparitions d'Esprits (de la Terre, comme les landvoettir ("êtres des lieux"), les esprits tutélaires (ou "yarthkins") ayant des effets bénéfiques ou nuisibles sur les activités humaines. Je citerai aussi en guise d'exemple les phénomènes des éclairs et des feux de Saint-Elme, qui illustrent le principe des manifestations externes de ces flux énergétiques et leur interprétation légendaire, voire superstitieuse.

Cette énergie est également présente dans les êtres vivants eux-mêmes, surtout lorsqu'ils sont en harmonie avec l'environnement, et plus réceptifs. Magiciens, géomanciens, druides, chamanes, praticiens des arts méditatifs, guérisseurs ou "illuminés" savent l'utiliser, ont conscience d'elle. La connaissance des procédures rituelles (gestes, paroles, postures) transmise généralement de bouche à oreille, d'initié à initié, permet de concentrer et de diriger l'Ond. De faire communier cette énergie terrestre, celle des éléments (comme les pierres qui semblent être d'excellents conducteurs) et celle qui est présente dans l'organisme humain, pour passer en quelque sorte d'un monde matériel à un (ou des) monde(s) spirituel(s). íVoir "axis mundis"ý

Dans la tradition nordique, il existe une forme personnifiée de l'Ond, la Hamingja, qui est cette énergie contrôlée par l'homme, permettant des métamorphoses ou le développement de dons, de pouvoirs magiques à l'officiant. Elle apparaît le plus souvent dans les légendes sous l'aspect d'un esprit-gardien attribué au lieu-dit. Elle se manifeste sous la forme d'un halo lumineux qui entoure le corps, ou d'une poussière ardente jaillissant de la paume des mains. Certains travaux effectués en Chine sur les arts martiaux expliquent qu'on a mesuré en 1978 une radiation de type infrarouge dans la paume d'un maître qigong émettant le qi, et qu'en 1979, on a démontré que le qi émis du bout des doigts par un autre qigong était en fait un courant de fines particules à charge électrique. Au XVIIIè siècle, Mesmer s'est vu expliquer par l'un de ses patients qu'une poussière ardente émanait de ses mains quand il opérait ses passes magnétiques. De tels phénomènes sont récurrents dans les traditions populaires et religieuses, et la plupart des saints en furent l'objets (halo autour de la tête) à l'instar des divinités païennes.

Pour en revenir aux mégalithes, on voit bien que le choix de leur localisation ne fut dans doute pas due au hasard, et que leur utilisation, fortement liée à un symbolisme que nous tenterons d'étudier plus loin, était aussi liée aux pouvoirs attribué au site lui-même. Ces émissions d'énergie ont été mises en évidence dans un cercle de pierres en Angleterre, par des chercheurs du groupe d'étude appelé "Mystères de la terre" ou "The Dragon Project".


· L'AXIS MUNDIS

Que ce soit l'arbre scandinave Yggrasill, ou le système des mondes spirituels des bardes celtes, l'axe cosmique (ou axis mundis) décrit le monde, et même le fonde, le définissant en quatre cercles d'existences, quatre dimensions reliées entre elles par cet axe vertical. Rapporté par le barde celte Llewellyn Sion of Glamorgan( 1560-1616) il peut se résumer ainsi:


CEUGANT
non accessible aux humains et aux esprits. Seuls les dieux y ont accès
demeure du créateur transcendant Hên Ddihenydd, le Père de Tout
(chez les scandinaves: Alfaddyr, Odin, ou Wodan
Porte le nombre symbolique 81, carré parfait
C'est là que se trouve le trône d'Odin, Hli¶kjálf
GWYNVYD
accessible aux Saints et aux demi-dieux, ainsi qu'aux personnes ayant transcendé leur cycle de réincarnation
Le Pays Blanc
royaume de la félicité
demeure des illuminés
chez les scandinaves: Asgard, la demeure des dieux et des âmes, lieu de lumière et de connaissance. Chiffre symbolique : 9
ABRED
(ou ADFANT)
le plan terrestre
"le lieu aux bords retournés"
Terre Plate
chez les scandinaves: Midgard, la Terre du Milieu, le monde de la matière
Nombre symbolique: 27
ANNWN
l'abysse, l'enfer
Monde de la Repurification
Abysse, peuplé d'âmes et d'esprits mauvais
Monde Inférieur
"le pays sans amour", "le pays invisible"
lieu des âmes et de la matière non manifestées et informées"



La conception spirituelle du (des) monde(s) autour de cet axe vertical permet de visualiser les interactions supposées entre les différents plans et les voies (symboliques) des flux énergétiques passant de l'un à l'autre grâce à la méditation, le rituel, l'harmonie et la compréhension de l'Ond, par le biais des "portes" que sont les mégalithes.

Par ailleurs, on pense que certains édifices mégalithiques et/ou labyrinthiques peuvent avoir été conçus pour reproduire certains de ces plans, notamment celui de l'abysse d'ailleurs très présent dans les diverses mythologies. Que ce soit sous la forme des sagas, des Eddas, des contes populaires qui bien que "christianisés" ont gardé quelques constantes, les traditions nordiques faisant référence à cela sont parvenues jusqu'à nous par bribes.

Nous savons par exemple que pour ce qui est du nord de l'Europe, l'utilisation des sites pour bénéficier ou utiliser l'énergie qui y était concentrée, passait nécéssairement par la pratique de la méditation, ou UTISETA ("siéger dehors"). Cela supposait un cérémonial souvent solitaire sous les étoiles, assis ou debout, dans une posture dite magique, identifiable sur certaines figurines danoises et rappelant les pratiques bouddhistes. Il fallait en outre se trouver dans des lieux adaptés, isolés et énergiquement puissants: les "anciens" sites sacrés du néolithique, à forte qualité numineuse et géomantique, furent pratiquement tous récupérés par les celtes.

L'idéal résidait par conséquent dans les points élevés, déjà occupés par des rémanences néolithiques, des tertres funéraires, des montagnes sacrées (tumulus) ou des cercles mégalithiques.

Suivait un rituel incantatoire (fondé sur les runes pour le nord, et "mantra" pour l'Inde). Un voyage mental pouvait alors avoir lieu, voyage intérieur ou véritable pèlerinage "physique bien que mental" dans un endroit possédant un pouvoir mantique (cf. Axe) important. Ce dernier avait une réalité propre, impliquant une progression le long de sentiers bien définis, de pistes sacrées menant à un lieu tout aussi sacré, le long de l'axe. Cela reste un voyage à travers des paysages intérieurs duquel l'officiant devait retirer un savoir "divin" et, en tout cas, revitalisant.

La plupart des "sorciers" pratiquant cette UTISETA utilisaient donc ces sites, tertres de maisons de terre combinés et accaparés pour leur usage transcendantal. Certains de ces édifices se doublaient de souterrains sous les tumuli. D'ailleurs, de nombreux textes attestent de l'utilisation des plates-formes des tertres (tables dolmèniques) par les völva (prophétesses) norroises jusqu'au XIIè siècle en Norvège (et XVIIè siècle en Hollande !). Ces loges chamaniques ont suivi le modèle des anciens cairns à chambre ou tombes à couloirs qui s'imprégnaient d'observations solaires et de rites sacrés perdus dans le temps, comme c'est le cas en Irlande pour Newgrange.


· VERTUS DES PIERRES LEVÉES:

Comme nous venons de le voir, les mégalithes peuvent se concevoir comme des vecteurs de l'Ond. Ils bénéficient et catalysent cette énergie profonde, faite de mystères, de phénomènes telluriques et géomantiques, et semblent la retransmettre sous la forme de dons guérisseurs, si l'on se réfère aux traditions qui les entourent, et à la toponymie. A l'instar de leurs petites soeurs utilisées comme amulettes ou comme ingrédient (cf. les lapidaires et autres manuels traitant des pouvoirs des pierres précieuses), des vertus curatives leur sont effectivement souvent attribuées (aux pierres levées ou aux sites sur lesquels elles se dressent) à travers les superstitions et les légendes, la tradition orale. Ainsi, nous pouvons évoquer le cas du dolmen d'Ymere (Seine-Maritime) sous lequel les gens souffrant des reins ont coutume de se glisser pour obtenir sinon la guérison du moins le soulagement de leurs maux.

De la même façon, la toponymie est riche d'enseignement dans un domaine où l'écrit est absent, quant au rapport étroit existant entre ces pierres et la maladie, voire la mort. Par exemple, j'évoquerais le menhir "la Croix des Morts" à St-André de Charançon (Haute Loire), ou le dolmen "le Cros des Mourgues" à St-Germain Laprade (Hte Loire). On trouve aussi un dolmen appelé "Puech Mort", ou "Homme Mort" dans l'Aveyron, dont le nom ne fait que souligner le caractère funéraire des dolmens.

Je note toutefois une évidence qu'il ne faut pas perdre de vue: il s'est écoulé bien des millénaires depuis la construction des premiers mégalithes, et leurs noms d'origine ont depuis longtemps été oubliés et remplacés par un héritage grec et/ou latin, christianisé, ou adapté à des légendes "événementielles" locales. L'origine préceltique reste néanmoins sous-jacente dans de nombreux cas, notamment lorsqu'il est question de pierre, table, tuile, creux, vieille, puy, ker ou cayre. Ainsi, je citerais la Pierre des Fièvres, au Puy, et la Pierre des Fébricants, en Bretagne.

Par exemple, les toponymes comportant le terme "pierre": on a une racine archaïque basée sur les sons [KR], [KL] ou [WI]. Ainsi, le "Chaillou magnen" à Imphy (Nièvre).

Les sonorités [KR], [KL] ou [WI] sont très anciennes et pourraient avoir appartenu à une langue "sacrée" de l'âge du fer. La plupart des toponymes actuels ne remontent pas au delà de l'âge du bronze, ce qui présuppose que les Indo-européens en Inde, Grèce et Europe occidentale aurait détruit les cultures autochtones qui ont érigé les mégalithes les plus anciens. Cette lutte terrible entre les peuples bâtisseurs de mégalithes et les Indo-européens se retrouve dans les principaux mythes guerriers : dieux contre titans (Grèce); Rama contre Ravana (Inde); Fomoiré contre Thuátha (celtes).

Mais les évocations, les références 'revigorantes" liées à la pierre levée, soulignent une constante pré-indoeuropéenne, celle de la déesse-mère. Cela se traduit dans la toponymie -même altérée- en relation avec la demeure, la Vie et la Mort, la maladie, et la pierre elle-même. La pierre est la mère, le noyau originel, la Terre.

(c) Claire Panier-Alix 1999

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonjour,

désolé de vous écrire pour faire de l'auto-promotion, mais au vu du sujet de votre blog, le roman "La Preuve par les Pierres" que je viens de publier, devrait vous intéresser. Visitez le lien

http://www.lulu.com/content/1130079

et bonne lecture !

Cordialement,

Alberto Pimpinelli